Le jeu vidéo ne serait pas un sport, puisqu’il peut gâcher des vies

Publié le 16 février 2017 par _nicolas @BranchezVous
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Tel est le raisonnement de la chroniqueuse Lise Ravary, qui profite de l’occasion également pour accuser les gamers d’avoir l’épiderme un peu trop sensible à son goût.

Doit-on se surprendre que plusieurs adeptes des jeux vidéo soient montés aux barricades à la lecture de sa chronique? C’était pourtant prévisible. Mais trêve d’introduction, entrons dans le vif du sujet.

Lise Ravary a ainsi été surprise d’apprendre que le Cégep de Matane offrait un programme de sport électronique à ses étudiants pour la session d’hiver 2017, avec sa propre équipe : Les Capitaines. Alors que le esport n’est pas un nouveau phénomène pour les lecteurs de Branchez-vous, encore moins pour les adeptes de jeux vidéo, il ne faut pas non plus se berner en imaginant que cette information est de notoriété publique.

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Maintenant, a-t-elle tort de questionner la nature «sportive» d’une telle activité? Pas nécessairement.

Cependant, la définition du mot ici adopte évidemment le sens plus large du terme. Les chaînes spécialisées diffusent depuis des années des tournois de poker, une activité hautement compétitive qui s’appuient davantage sur une réflexion stratégique que sur des aptitudes physiques. Même chose en ce qui concerne les champions du jeu d’échecs.

Le esport est plus sportif que le poker ou le jeu d’échecs, puisqu’il demande autant de réflexion que de réflexes.

En fait, le esport est probablement plus un sport que ces disciplines, puisqu’il nécessite un certain équilibre de ces deux sphères. Nier le fait qu’il faut des réflexes d’acier aux joueurs professionnels pour renverser la vapeur à leur avantage lors d’une confrontation de DOTA 2, League of Legends, Overwatch, ou l’incontournable CS:GO est signe que l’on connaît mal le domaine. Il va sans dire que ce sont des athlètes à part entière.

Mais je ne voudrais pas tomber dans le même piège que bien d’autres personnes en désaccord avec la position de madame Ravary. Car l’accroche de son article était un prétexte pour parler d’un sujet plus important : la dépendance que peut entraîner les jeux vidéo.

Gare à la pratique excessive

Selon ce qu’elle entend de ses proches, le problème de jeunes devant accros aux jeux vidéo est plus répandu qu’on ne le pense.

Une étude menée en 2016 par le Centre for Addiction and Mental Health de Toronto laissait entendre que la dépendance aux jeux vidéo et la détresse psychologique qui en découle semblent avoir subi une hausse en Ontario auprès d’élèves d’écoles primaires et secondaires.

On y révélait que 13% des participants – sur un échantillon de 10 400 candidats provenant de 220 écoles ontariennes – ont signalé des symptômes liés aux jeux vidéo, incluant un esprit préoccupé, la perte de contrôle, l’isolement, et le mépris des conséquences. Cela représente une augmentation de 9% par rapport à ce qui a été observé en 2007, l’année où le centre a commencé à s’intéresser au phénomène.

«Bien que nous ne puissions pas dire avec certitude ce qui cause cette détresse, il est important que les parents, les écoles et les professionnels du domaine de la santé soient conscients de ce que les jeunes nous disent au sujet de leur santé mentale», a déclaré le docteur Robert Mann, codirecteur de l’étude en question, avant de préciser que les jeunes dans la vingtaine semblaient plus enclins à vivre de grandes périodes de stress les incitant à s’échapper dans un monde virtuel.

Malheureusement, il existe toujours à l’heure actuelle une certaine pénurie d’études sur le sujet. Même que la notion «d’addiction aux jeux vidéo» est déjà l’objet d’une controverse à la base dans le milieu scientifique.

Il existe toujours à l’heure actuelle une certaine pénurie d’études sur le sujet.

L’Académie nationale de Médecine a rejeté le terme en 2012, préférant parler de «pratique excessive», puisqu’il n’existe toujours aucun consensus scientifique sur l’existence d’une réelle addiction aux jeux vidéo. De son côté, l’Association américaine de psychiatrie a refusé en 2013 d’inclure la dépendance aux jeux vidéo dans la cinquième édition de son Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux pour les mêmes raisons.

Enfin, comme le souligne d’ailleurs Lise Ravary, l’Organisation mondiale de la santé travaillerait à déterminer si la dépendance aux jeux vidéo est un problème de santé mentale.

Un encadrement scolaire

Quoi qu’il en soit, que l’on accepte ou non que le jeu vidéo puisse entraîner une dépendance, ne devrait-on pas saluer l’initiative du Cégep de Matane d’inclure le sport électronique à son programme selon un encadrement similaire aux autres sports étudiants qui minimise les risques de dérapages?

D’autant plus que, selon ce que rapporte Radio-Canada, l’institution scolaire reconnaît le risque.

«Les jeunes jouent beaucoup au jeu vidéo en solitaire et cela peut créer une dépendance. Il en résulte souvent d’un échec scolaire pour ces élèves», a expliqué Thérèse Gagné, psychologue et conseillère à la vie étudiante du Cégep de Matane. «Avec ce programme, les jeunes peuvent socialiser, communiquer en équipe, sortir de l’isolement et établir des liens avec les autres membres. Tout le monde ressort gagnant si le programme incite à la réussite scolaire.»

Inutile de préciser que la bête humaine est susceptible aux abus et excès de bien des choses. On peut tout à fait comprendre le désespoir de Lise Ravary face à l’ampleur de cette dépendance. Mais en attendant que la communauté scientifique se penche plus profondément sur le sujet, il y a fort à parier que les méthodes permettant d’éviter la dépendance au jeu pathologique et à tout autre sport peuvent s’appliquer auprès de ces accros du jeu vidéo.