« Pierre » Palais de Tokyo Abraham Poincheval 2017
Le moins claustrophobe des visiteurs du Palais de Tokyo à Paris ne peut être que sidéré, me semble-t-il, par la performance que s’apprête à assumer l’artiste Abraham Poincheval du 22 février au 1er mars prochains dans le cadre de l’exposition qui lui est consacrée :
« Pierre est une expédition au cœur du monde minéral. Abraham Poincheval tente pour la première fois d’habiter un rocher pendant une semaine, approfondissant ainsi son expérimentation de l’enfermement et de l’isolement. »
A ce stade des informations l’incompréhension n’est pas dissipée : dans cette énorme pierre calcaire taillée au profil de l’artiste, volume dans lequel est disposé un matériel assez sommaire, est-il possible qu’un être humain puisse tenir une semaine ? Comment s’alimente-t-il (aliments lyophilisés, litres d’eau comptabilisés…) ? Quelles sont les alertes prévues en cas de malaise, syncope ? Comment s’opèrent les gestes élémentaires d’hygiène ? La notion de performance artistique s’efface-t-elle devant celle de l’exploit sportif ? Non assure Abraham Poincheval qui récuse cette dimension sportive : “S’enterrer vivant consiste à repousser ses limites physiques et mentales”.
Un célèbre explorateur souterrain, aventurier et scientifique, Michel Siffre, loin de toute ambition artistique, a déjà montré l’exemple d’un isolement radical en 1962 : il reste deux mois au fond du gouffre du Scarrasson, dans les Alpes du sud. Après soixante et un jours passés à l’écart de tout repère temporel sur un glacier souterrain, il est sorti le dix sept septembre en se croyant le vingt août. Mais Abraham Poincheval ajoute à cette expérience l’exiguïté terrifiante dans laquelle il décide de se placer.
Coupe intérieure de la pierre
L’artiste a certes expérimenté des performances de claustration notamment en se glissant dans un trou d’un mètre soixante dix sous le sol de la galerie Ho, à Marseille (2012), en vivant en totale autonomie dans une bouteille géante posée sur la place Lazare-Goujon à Villeurbanne (2016) ou encore en s’enfermant treize jours dans la peau d’un ours au musée de la Chasse et de la Nature à Paris (2014). Mais le confinement que veut s’infliger l’artiste dans cette nouvelle performance atteint un point tellement extrême que l’acceptation même d’une telle épreuve apparaît folle. On peine à imaginer la capacité de résistance psychologique nécessaire à l’artiste pour affronter un tel challenge. Quel niveau de souffrance physique et mentale doit il atteindre pour que les responsables d’une institution muséale se désolidarisent d’une performance quand bien même des garanties de sécurité aient été prises ? L’osmose recherchée par Abraham Poincheval entre le règne du vivant et le monde minéral le conduit à repousser davantage encore les limites de la proposition artistique. La pierre sculptée s’impose ainsi comme une géode à taille humaine qui à la manière d’une gangue naturelle protège les précieux quartz de couleur en son sein. L’artiste, au cœur de cette géode calcaire, présente avec son projet une singulière confrontation entre le corps et la matière. De la performance statique au vu des visiteurs jusqu’à l’enfermement physique et visuel puis au confinement absolu, Abraham Poincheval serait-il pris à son propre piège du dépassement de ses limites ? C’est avec curiosité mêlée d’une certaine inquiétude que l’on peut attendre le début de cette performance troublante.
Photos de l’auteur
Abraham Poincheval
3 février – 8 Mai 2017
Palais de Tokyo
13 avenue du Président Wilson
75116 Paris