Débat autour du programme de François Fillon en matière de sécurité sociale, possibilité de privatiser l'Assurance Maladie ou d'instaurer un Revenu Universel : la question de la protection sociale est aujourd'hui au cœur de la campagne électorale, ayant (provisoirement ?) relayé les questions d'immigration et de terrorisme au second rang.
Avec comme fond, les questions du déclassement social, du degré adapté de libéralisation de notre modèle social ou encore de son financement, plusieurs débats sont apparus autour de la protection sociale et de ses possibles évolutions dans les années à venir.
La société française, attachée à l'idée d'un modèle social français, est-elle prête à des mutations ? Quelles sont les perceptions de l'opinion sur la protection sociale ? Délits d'Opinion apporte des éléments de réponse à ces questions au travers de trois articles, en s'inspirant notamment d'un rapport du Credoc sur le sujet ( http://www.credoc.fr/publications/abstract.php?ref=R324 ).
La première partie est consacrée aux perceptions des Français vis-à-vis de leur système de protection sociale.
La protection sociale désigne tous les mécanismes de prévoyance collective, permettant aux individus de faire face aux conséquences financières des " risques sociaux ". Il s'agit de situations susceptibles de compromettre la sécurité économique de l'individu ou de sa famille, en provoquant une baisse de ses ressources ou une hausse de ses dépenses : vieillesse, maladie, invalidité, chômage, maternité, charges de famille, etc.
La protection sociale repose sur plusieurs types de mécanismes, plus ou moins visibles :
- des prestations sociales, versées directement aux ménages, qui peuvent être en espèces (pensions de retraite) ou en nature (remboursements de soins de santé) ;
- des prestations de services sociaux, qui désignent l'accès à des services, fournis à prix réduit ou gratuitement (crèches, hôpitaux...).
La Sécurité sociale, à travers ses différentes branches, fournit la couverture de base des risques " maladie / maternité / invalidité / décès ", " accidents du travail / maladies professionnelles ", " vieillesse " et " famille ". Elle est composée de différents régimes regroupant les assurés sociaux selon leur activité professionnelle, le régime général étant le plus connu, mais intégrant aussi par exemple le RSI (Régime Social des Indépendants) ou la MSA (Mutualité Sociale Agricole).
Les prestations sociales peuvent répondre à trois logiques :
- une logique d'assurance sociale, dont l'objectif est de prémunir contre un risque de perte de revenus (chômage, maladie, vieillesse, accident du travail). Les prestations sociales sont financées par des cotisations sur les salaires et sont donc réservées à ceux qui cotisent ; cette logique correspond à ce qu'on appelle généralement le modèle bismarckien, en référence aux lois sociales du Chancelier Otto van Bismarck (fin du 19ème siècle en Allemagne). Celui-ci a ainsi mis en œuvre un système de protection sociale contre les risques maladies (1883), accidents de travail (1884), vieillesse et invalidité (1889).
- une logique d'assistance, qui a pour objectif d'instaurer une solidarité entre les individus pour lutter contre les formes de pauvreté. La prestation assure alors un revenu minimum, qui ne couvre pas forcément un risque spécifique. Il est versé sous condition de ressources, mais non de cotisations préalables (revenu de solidarité active, allocation adulte handicapé) ; cette logique correspond à ce qu'on nomme le modèle de beveridge, du nom de l'économiste britannique, qui en 1942, à la demande du gouvernement anglais, rédige un rapport sur le système d'assurance maladie.
- une logique de protection universelle, qui a pour but de couvrir certaines catégories de dépenses pour tous les individus. Les prestations sont donc accordées sans conditions de cotisations ni de ressources, mais sont les mêmes pour tous (prestations familiales).
A l'instar de nombreux aspects de l'économie française, l'organisation de la sécurité sociale de notre pays est un mix entre les modèles précités. Il s'approche néanmoins plus du modèle bismarckien, privilégiant une logique assurantielle financée par des cotisations. Toutefois, depuis une vingtaine d'années, on assiste à une diminution du poids des cotisations sociales et à une augmentation de la part des ressources fiscales, liée notamment à la montée en puissance de la CSG (contribution sociale généralisée), impôt assis sur l'ensemble des revenus des personnes résidant en France.
Cette évolution répond au souhait de ne pas faire peser le financement de la protection sociale sur les seuls revenus d'activité (les cotisations sociales portent en effet uniquement sur les salaires), et de distinguer le financement des prestations relevant de la solidarité nationale de celles relevant de l'assurance.
L'universalisme de prestation est certes bien affirmé dans le plan de Sécurité sociale, mais recherché mais en se fondant sur la généralisation de la Sécurité sociale, elle-même permise par la généralisation du salariat et qu'à travers lui tous les individus bénéficieront d'une protection sociale, soit comme cotisant, soit comme ayants droit.
Les ressources qui servent à financer la protection sociale - soit 728,6 milliards d'euros en 2014, 34% du PIB - se répartissent aujourd'hui en trois catégories principales :
- les cotisations sociales (62% du total des ressources en 2014),
- les impôts et taxes affectés (ITAF) (25,1%), dont la CSG,
- les contributions publiques de l'État et des collectivités locales (10,2%).
Le résidu étant constitué par d'autres formes de recettes : produits de capitaux, montants recouvrés).
L'enjeu récurrent concernant la protection sociale dans le débat public se focalise sur le déficit de la sécurité sociale, communément appelé le " trou de la sécu ". Dans cette optique, l'annonce par Marisol Touraine de la fin de ce trou en 2017, principale mesure promise par François Hollande, a constitué un tour aussi bien un tour de force (le déficit était de 17,4 milliards en 2011) qu'une source de débats vifs au sein de la majorité, d'aucuns considérant que le Président de la République avait privilégié la dimension comptable et mené une politique de droite.
En effet, ce débat sur le financement cache des questionnements plus profonds sur notre modèle social en matière d'équité notamment : quels risques la société doit-elle couvrir pour les individus qui la composent ? Comment cette couverture doit-elle être financée ? Qui doit être mis à contribution ? Comment combattre la fraude ?
Autant de questions auxquelles les Français ont des réponses....
Nos concitoyens associent spontanément des idées positives au système de protection actuel.
En premier lieu, les Français affichent une forme d'attachement à un modèle de protection sociale. La première idée positive associée est celle de soins médicaux pour tous, citée par 45% des répondants, la protection sociale étant avant tout perçue sous le prisme de la santé. Parmi les critiques, la " lourdeur et la lenteur bureaucratique " reviennent en premier lieu, avec néanmoins une récurrence de réponses relativement faible (22% au total). Sans surprise, une surreprésentation de ce retour est présent au sein des indépendants (28%, contre 22% de l'ensemble des répondants). C'est également au sein de cette catégorie que l'on trouve la part associant le moins la notion de solidarité au système de protection sociale français : seuls 10% contre 22% en moyenne et 31% des cadres et professions intellectuelles supérieures.
D'une manière générale, l'association de termes positifs ou négatifs est relativement corrélée au niveau de revenus.
Une satisfaction générale du niveau de protection offert mais des inquiétudes concernant son financement...Les ¾ de nos concitoyens expriment une satisfaction à l'égard du niveau de protection fourni par notre système actuel, ce qui le place dans la moyenne haute au sein de l'Union européenne.
Néanmoins, ne subsiste pas un optimisme naïf, puisque parallèlement près des 2/3 considèrent que ce " système coûte trop cher à la société ".
Signe que la question de la durabilité de la dette et des enjeux de finances publiques a été intériorisée par l'opinion publique depuis la crise de 2008, la part estimant que ce coût pose des questions en matière d'alourdissement de la dette, susceptible de représenter un frein pour sortir de la crise, ne cesse de grandir depuis 2009.
En corollaire, la perception du lien entre protection sociale et atténuation de la crise est devenue progressivement minoritaire.
Que faire pour réformer ce système perçu comme performant en matière de niveau de protection, mais à un coût dispendieux ?
Des réformes progressives plus qu'une transformation radicaleLes possibilités de répondre aux enjeux de financement de ce système passeraient, selon une majorité de Français, par des changements progressifs.
55% adoptent ainsi une position plutôt prudente, quand seulement 14% appellent un changement radical d'orientation, alors que 29% optent pour le statu-quo.
Parmi les partisans d'un changement radical : la France des oubliésParmi les partisans d'un changement radical, on trouve davantage d'indépendants (33% d'entre eux, contre seulement 14% de la totalité des répondants) et d'ouvriers (18%), contre seulement 6% des cadres et professions intellectuelles supérieures.
Ce sentiment est également plus fréquent au sein des habitants des communes rurales (18% contre 10% des résidents de l'agglomération parisienne).
Les points communs entre ces différentes catégories de population renvoient à un champ de perception relativement homogène, mêlant pessimisme, défiance, sentiment de malheur et inquiétude face à l'immigration.
Alors que nous avons vu que le financement de la protection sociale repose encore majoritairement sur les cotisations salariales et patronales, c'est également " la France du travail ", avec des pics entre 40 et 59 ans, peu de retraités et de personnes au foyer (respectivement 10% et 16% pour 53% et 49% quand il s'agit de changer le système progressivement et 34% et 33% quand il s'agit de le préserver tel quel).
Une France qui estime devoir se serrer la ceinture sans toujours bénéficier des contreparties préconise des changements radicaux pour changer le système de protection sociale. En creux se dessinent donc des interrogations sur le modèle de solidarité français, entre actifs et inactifs, entre les différentes générations, entre les divers territoires ou encore entre les malades et les bien-portants.