Un véritable débat est en train d’apparaître, pour évaluer si ce geste est admissible ou non, quelle est sa véritable portée et s’il doit être encadré par l’État.
Un phénomène dérangeant
S’ils ne sont pas encore monnaie courante en Europe, les autoportraits funèbres se généralisent en Amérique du Nord comme au Canada. Et cela pose problème, notamment quand les familles, horrifiées, découvrent les clichés publiés triomphalement sur les profils Facebook ou Instagram de leurs proches, quand il ne s’agit pas carrément de ceux des prestataires de service qui ont officié pendant l’enterrement.
Les chiffres parlent d’eux-mêmes : la corporation des Thanatologues du Québec a constaté que ce type de comportement est avéré dans la moitié des cérémonies organisées, alors que le mort est exposé à la vue de tous.
Des gens parfois tout sourires, qui posent avec un membre de leur famille décédé. Des selfies pour le moins troublants…
Les photos sont prises discrètement, à la sauvette, de véritables clichés volés où apparaissent le cadavre, le cercueil, la tombe … Certains n’hésitent pas à mentir quand on leur demande ce qu’ils sont en train de faire, justifiant leur attitude par le besoin de se recoiffer par exemple.
Inquiets, les opérateurs funéraires veulent toucher l’opinion publique, alerter les autorités sur ce phénomène : s’il n’y a pas encore eu de plaintes officielles, ils craignent l’exaspération grandissante des proches, et commencent à privilégier l’idée d’une réglementation.
Car si la loi canadienne interdit toute photographie du corps pendant le déroulement des soins de conservation, privant ainsi le secteur de documents pédagogiques précieux, elle est muette quant à ces autoportraits particulièrement dérangeants.
Entre gestion du deuil et dérive perverse
En cause la motivation derrière cette démarche.
Certains psychiatres et psychologues l’expliquent comme une volonté de conserver un souvenir du rituel, de concrétiser l’idée de la mort au travers d’une image. Dans ce cadre, le selfie mortuaire participerait du processus de deuil, favorisant l’acceptation de l’inéluctable. En cela, il se situerait dans la continuité de la photographie mortuaire telle qu’elle était pratiquée au XIXeme siècle, une coutume qui a perduré au Québec jusque dans les années 60.
Mais qu’en est-il quand ces images finissent sur les réseaux sociaux, assorties de plaisanteries douteuses, de commentaires désobligeants ? Sans même aller jusque là, que vont devenir ces contenus, dans le grand océan du numérique où le droit à l’image est complètement gommé ?
Sans compter que pareil geste peut relever de la déviance psychique, d’une perversion cruelle. On évoque alors les clichés pris avec des animaux volontairement torturés pour l’occasion, les selfies/défis qui tournent mal et provoquent la mort violente du sujet… ou les polaroids de victimes accumulés par les tueurs en série ?