réalisé par Olivier Assayas
avec Juliette Binoche, Kristen Stewart, Chloe Grace Moretz, Lars Eidinger...
titre original : Clouds of Sils Maria
Drame français, suisse, allemand. 2h. 2014.sortie française : 20 août 2014
Movie Challenge 2017 : Un film avec un prénom dans le titreÀ dix-huit ans, Maria Enders a connu le succès au théâtre en incarnant Sigrid, jeune fille ambitieuse et au charme trouble qui conduit au suicide une femme plus mûre, Helena. Vingt ans plus tard on lui propose de reprendre cette pièce, mais cette fois de l'autre côté du miroir, dans le rôle d'Helena...
Sils Maria me permet de découvrir enfin l'univers du cinéaste français Olivier Assayas. Ce film avait été présenté en compétition au festival de Cannes en 2014 (et était reparti les mains vies). Il avait aussi permis à Kristen Stewart (devenue depuis la nouvelle actrice chouchou d'Assayas, notamment avec la sortie de son dernier film, Personal Shopper, sorti en fin 2016) de décrocher le César de la meilleure actrice dans un second rôle (il s'agit de la première actrice américaine à remporter ce prix - bref, quelle belle reconversion après Twilight !). Sils Maria est un long-métrage divisé en trois parties distinctes. La première partie présente une actrice connue d'une quarantaine voire même cinquantaine d'années (la Maria du titre) qui doit rendre hommage au metteur en scène qui lui a donné le rôle de Sigrid (il s'agit du rôle qui l'a révélée et certainement aussi celui de sa vie), une jeune fille qui prend la place d'Helena, son aînée d'une vingtaine d'années (pour être précise, sa patronne), cette dernière finissant par se suicider. Un jeune réalisateur, Klaus, propose alors à Maria une nouvelle version de la pièce à part que Maria n'interprétera plus Sigrid à cause de son âge mais cette fois-ci Helena, celle qui est sur le déclin et qui finit par en disparaître. On apprend aussi que ce sera une jeune actrice américaine, star d'un film de mutants et habituée de la presse à scandales, qui interprétera la jeune Sigrid. Dans la seconde partie, après avoir tant hésité, avec l'aide de sa jeune assistante Valentine, Maria répète la pièce dans les montagnes (dans le village suisse Sils-Maria). Enfin, dans la troisième partie, Maria et Jo-Ann vont jouer dans la pièce (le projet se concrétise réellement) : la carrière de Maria (voire même sa vie en tant que femme) prend alors une nouvelle tournure. On remarque alors, rien que sur le papier (et ça prend merveilleusement vie à l'écran), à quel point le film est intelligemment bien construit et qu'il ne se contente pas de cette démonstration : il provoque à la fois de l'émotion et de véritables réflexions. J'ai parlé de découpages en parties mais en réalité on pourrait s'autoriser à parler d'actes, en écho avec la pièce évoquée. Sils Maria est alors un petit bijou qui fonctionne par de multiples interactions sans jamais avoir l'impression qu'il s'égare dans le traitement de son sujet. Il ne s'agit d'ailleurs pas que des interactions mais aussi d'intertextualités, de mises en abyme, voire même des échos, comme à la montagne (en rapport avec le lieu du récit). Le travail aurait pu être grossier avec ces différentes et même nombreuses mises en abyme notamment entre les différentes figures artistiques présentes (principalement théâtre et cinéma) ou même à travers ces grosses piques envoyées à Hollywood.
On voit même des clins d'œil à Kristen Stewart herself, elle qui défendait dans les interviews avec une réelle conviction (enfin, elle donnait cette impression) le rôle de Bella dans la saga vampirique Twilight. Pourtant, le film fait preuve d'une réelle subtilité pour évoquer les fantômes du passé, la douleur et la fragilité d'une femme et actrice qui vieillit sans tomber non plus dans certains clichés. Il est également très réussi quand il brouille les pistes entre réalité et fiction, notamment la fin de la seconde partie avec la démonstration de Valentine pour contredire Maria (et la pousser dans ses retranchements) et lui montrer de nouvelles lectures d'interprétation dans une oeuvre. L'art symboliserait ici le figement du temps, le fait de rester éternel, dans un sens aussi jeune (l'opposition jeunesse / vieillesse étant évidemment présente tout le long du film pour faire ressortir d'autres thèmes plus enfouis), la vie n'étant pas capable d'offrir un tel privilège. Le scénario est donc très bien construit du début jusqu'à la fin mais sans donner l'impression d'être démonstratif. A l'image de ses ellipses et du traitement de ses thèmes, il est très fluide et ne semble jamais hautain alors qu'il aurait également pu tomber dans ce piège. La mise en scène est aussi maîtrisée, précise et à l'image des paysages montagneux et nuageux, assez aérienne. Le résultat est puissant, réussissant à mêler différentes émotions tout en gardant une certaine cohérence. Juliette Binoche est impeccable dans le rôle de Maria. Elle réussit bien à montrer le côté diva de cette star en public et en même temps de dévoiler sa fragilité et ses contradictions (pour ne pas dire ses secrets et tourments) dans une sphère privée. L'interprétation de Kristen Stewart est également très bonne et mérite d'être soulignée (surtout quand on est face à la grandiose Binoche !). Sur le papier, son personnage, Valentine, ne serait qu'une assistante, permettant surtout d'écouter les différentes plaintes de Maria. Valentine est aussi un personnage énigmatique, d'une certaine façon un fantôme, un reflet de la conscience et des propres doutes de Maria face à son passé de femme et d'actrice. Chloe Grace Moretz complète bien le casting en jouant sur plusieurs tableaux et prouve qu'elle est capable de livrer une performance remarquable lorsqu'elle est bien dirigée et en interprétant des rôles intéressants (parce que ces derniers temps, ses choix de carrière me déçoivent). Sils Maria est donc un magnifique film, abouti, curieux, délicat et lucide, dans lequel l'art et la vie se reflètent en permanence, créant un ensemble particulièrement troublant.