Trumpisation de Wikipédia : vive les faits alternatifs !

Publié le 13 février 2017 par Pierrotlechroniqueur

Le petit monde des Wikipédiens est en ébullition. Et je dirais même, très en colère. La cause de ce courroux : le blog Passeur de sciences, de Pierre Barthélémy, un journaliste du quotidien dit de référence en France,.

Pierre Barthélémy a eu une idée géniale et innovante : vandaliser sournoisement Wikipédia pour tester la capacité de résilience du projet. Qu'est-ce que c'est original, mes amis, j'en tombe de l'armoire. Le vandalisme est très bien trouvé : créer l'article Léophanès avec des éléments factuels et vrais, puis revenir plus tard pour y saupoudrer du faux. La supercherie a été découverte au bout d'un bon mois - sur initiative ou non de l'intéressé, on ne sait pas très bien mais, dans le fond, peu importe - et Pierre Barthélémy a publié son retour d'expérience sur son blog.

Résultat : colère sur le Bistro, échange de tweets d'insultes, et embrasement généralisé des Wikipédiens qui hurlent au scandale (lequel ?), à la faute déontologique (sans la démontrer), à la fin de la Civilisation occidentale, et envisagent même - défense de rire - de porter plainte contre Le Monde (comme Ash Crow sur IRC). Comme d'habitude, "eux contre nous", comme l'a résumé Lgd une IP intervenant sur le Bistro.

On fait mine de savoir que tout cela (la difficulté de détecter les vandalisme sournois et autres canulars), on le sait déjà (sans rien faire pour remédier au problème). On fait mine, surtout, de ne pas connaître des véritables implications de ce genre d'expérience. À savoir la confirmation que Wikipédia n'est pas une encyclopédie (mais un simple média parmi d'autres, à vocation désormais politique et libriste) et ne le sera probablement jamais - d'ailleurs, l'intervention de Vatekor sur le BA, qui voit dans Le Monde un "professionnel potentiellement concurrent", a le mérite de la franchise et de la lucidité - ; la confirmation que les contributeurs actifs - par ailleurs en chute libre depuis quelques mois - n'ont toujours pas le niveau de spécialisation requis parce que les universitaires, quoiqu'en dise Wikimédia France, ne contribueront jamais à Wikipédia (sauf rarissimes exceptions qui, d'ailleurs, se tarissent) ; la confirmation que la "communauté" wikipédienne se voit plus que jamais comme une citadelle imprenable, et que l'enfer c'est les autres, surtout les vils médias mainstream qui nous détestent mais qu'on veut bien reprendre pour sourcer. Etc. Je pourrais disserter sur toutes ces thématiques mais, en fait, c'est justement ce qu'a fait ce blog pendant sept ans, prêchant le plus souvent dans le désert d'ailleurs. Inutile, donc, d'y revenir. Et inutile, aussi, d'espérer le moindre sursaut d'un astre qui se meurt. La réflexion ne se fera probablement jamais.

Plutôt que de réfléchir à tout cela, donc, les Wikipédiens se disent qu'il faudrait faire du barouf avec cette "affaire". Car, dans leur fol espoir, ils pensent probable qu'on leur donnera raison contre Le Monde, qu'ils ont de toute façon raison, et qu'on les acclamera comme ils le méritent. Et d'espérer même que les autres médias surfent sur cette hypothèse et clouent Le Monde au pilori. Tant de naïveté m'arracherait presque une larme.

Hé bien, Tonton Pierrot l'a constaté, la stratégie est, pourtant, déjà couronnée de succès. Olivier Berruyer - en guerre ad nauseam contre Le Monde depuis des jours parce que le fameux Decodex a expliqué que son blog n'est pas fiable et complotiste, mais ça n'a bien sûr aucun rapport -, un auteur assez largement considéré comme "complotiste" et peu sérieux (et même Wikipédia le dit), s'est fendu d'un long billet décousu de soutien à la cause wikipédienne. Et à Rémi Mathis, le "boss de Wikipédia France", sollicité au passage pour que la belle page Wikipédia d'Olivier Berruyer soit un petit peu moins critique. J'imagine que ça, c'est déontologique, pas comme ce que fait le vilain Pierre Barthélémy. Le billet a, bien sûr, été immédiatement relayé sur les réseaux sociaux par tous ses soutiens habituels. À savoir les identitaires, les marinistes, et surtout les militants de l'UPR de François Asselineau.

Les Asselineau boys au secours de Wikipédia maltraitée... Savoureux retournement de l'Histoire, n'est-ce pas ? Mais après tout, on a les soutiens qu'on mérite. Moi, c'est ce que j'appelle la Trumpisation de Wikipédia. "Faits alternatifs" inclus. Mais peu me chaut : depuis le temps, j'ai passé le cap et ne m'émeus plus de la post-vérité.