Extérieur

Publié le 12 février 2017 par Morduedetheatre @_MDT_

Critique d’Intérieur, de Maeterlinck, vu le 12 février 2017 au Studio-Théâtre de la Comédie-Française
Avec Thierry Hancisse, Anne Kessler, Pierre Hancisse, et Anna Cervinka dans une mise en scène de Nâzim Boudjenah

J’adore les silences. Les silences qui disent tout. Il y a le silence gêné, le silence de politesse, le silence attendu et le silence surpris, le silence religieux, le silence endormi, celui qui précède une décision ou un jugement, celui qui décidera de notre vie. Et il y a le silence creux, celui qui sonne faux et qu’on ne rencontre qu’au théâtre. Certes, cet Intérieur est d’une beauté rare : les décors, les mouvements, les lumières. Il y a quelque chose qui aurait pu toucher à la grâce, car on retrouve recherche et poésie dans cette mise en scène. Mais c’est trop souvent surfait : on veut nous faire rentrer dans quelque chose, et c’est sûrement pour cela que j’ai bloqué. J’aime rentrer de moi-même dans un spectacle. Alors quand les 10 premières minutes consistent à regarder des hommes arriver au loin en écoutant une musique qui cherche à imposer une atmosphère, j’avoue que j’ai tendance à me bloquer.

L’histoire avait pourtant de quoi me toucher, et même me captiver. Elle conte l’histoire de deux hommes qui ont trouvé le corps d’une fille noyée, et doivent aller annoncer la nouvelle à sa famille avant que le cortège qui la transporte n’arrive. La pièce raconte leurs hésitations, leurs pensées, leurs réactions à l’idée d’aller déranger une famille qu’ils observent et qui semble si calme, et l’idée de briser ainsi leur vie en un instant les rebute de plus en plus à franchir le seuil de la porte. Mais l’heure approche et les villageois sont en route. Ils doivent se décider.

Je pense que le spectacle aurait été bien plus prenant s’il y avait eu quatre Thierry Hancisse sur le plateau. Mais il n’y en a qu’un et il ne peut porter à lui seul une pièce où le texte ne se suffit pas à lui-même. Je n’ai pas senti l’urgence de monter un spectacle pareil, et si Nâzim Boudjenah a su créer la beauté dans le cadre, il n’a pas réussi à l’intégrer en substance. Il faut dire aussi que ce spectacle passe juste après La Règle du Jeu, où aucun état d’esprit, aucune prédisposition antérieure n’était nécessaire, et où on était pris au jeu sans faire d’effort. Ce soir, je n’ai pas voulu faire d’effort et m’accrocher car ce n’est pas ma conception du théâtre.

Il manque probablement aussi une direction d’acteurs. On ne peut s’empêcher de remarquer le gouffre qui sépare les jeunes acteurs des plus expérimentés. La voix cristalline d’Anna Cervinka, qui m’a toujours emportée jusqu’ici, ne suffit pas à porter ce texte, et le timbre de Pierre Hancisse manque cruellement de nuances et de profondeur. Le contraste est d’autant plus flagrant qu’il donne la réplique à un Thierry Hancisse plus que pénétré. Transformé. Lorsqu’il entre sur scène, il a la voix fatiguée et atteinte d’un vieil homme usé par la vie et par sa journée. Mais les silences qui suivent sonnent faux, sonnent creux, et on perd trop vite l’intensité de Thierry Hancisse. Et cet effet de yo-yo qui se tient tout au long de la pièce n’a que trop renforcé la distance entre la scène et moi.

Mieux disposé à ce spectacle, on peut peut-être rentrer dedans et en apprécier la beauté…