Par Mathieu Doutreligne publié le 09/02/2017
Bernard Devoucoux, éleveur en agriculture biologique, nous explique pourquoi il mange de la viande. Lors d’un long entretien, il nous parle de la vie, mais aussi de la mort, dont on a de plus en plus peur et qui nous coupe progressivement de la nature.
Nous avons récemment pu interviewer Bernard Devoucoux, agriculteur et éleveur bio en Auvergne. Défenseur de la consommation de viande française, il nous explique en détail ses convictions. Il estime que les gens se coupent de plus en plus de la nature et du vivant. D’une manière générale, nous avons un problème à accepter la mort qui fait partie intégrante de la vie.
Pour introduire certaines questions, nous avons mis en avant quelques commentaires d’internautes. Ces commentaires sont issus du relai sur Facebook de notre article du 25 janvier 2017 : Marre des vidéos à scandale, cet éleveur montre le bien-être des animaux. La publication est disponible ici.
Vous élevez des poulets, des vaches, des brebis, des agneaux. Mangez-vous la viande issue de vos animaux ?
Bien sûr. En tant que producteur de viande, je suis conscient que les animaux qu’on élève sont faits pour l’élevage et serviront à l’alimentation. Ils y sont destinés dès leur naissance. Ce ne sont pas des chiens ou des chats avec lesquels on vit à l’intérieur de la maison. La vocation d’un agriculteur est de nourrir les autres. Je pratique la polyculture élevage et produit également des céréales.Dans l’univers du bio et de la consommation responsable, beaucoup se tournent vers le végétarisme. Voyez-vous cela comme une mode passagère ou un mouvement de fond ?
Je mange de la viande une fois par jour, le midi. La consommation de viande en France est culturelle. Il faut se souvenir qu’à l’époque des trente glorieuses, l’un des symboles de richesse était d’en manger midi et soir. Au niveau nutritionnel, je pense qu’une bonne ration de protéines par jour est suffisante pour une alimentation équilibrée.“Écologiquement parlant, c’est plus cohérent de manger du boeuf que du porc.”Je peux comprendre que les gens veulent réduire leur consommation de viande pour diverses raisons, toutefois, certaines tendances restent paradoxales. Par exemple le fait de manger plus de volailles et de porcs, et moins de moutons et de bovins. Écologiquement parlant il y a une contradiction, car c’est plus cohérent de manger du boeuf que du porc. Les ruminants sont des animaux qui consomment de l’herbe, alors il n’y a pas de conflit avec l’alimentation humaine, parce que notre estomac n’est pas fait pour digérer l’herbe. Les porcs et les volailles, eux, ont un régime alimentaire plus proche de l’homme avec une consommation de soja, maïs, céréales.Le problème est que les gens ont une image déformée par ce qu’on voit à la télé. La majorité des ruminants ruminent, donc mangent d’abord de l’herbe et du foin. À 95% c’est ce que mangent mes animaux au cours de leur vie. Mes volailles, elles, vont manger de la féverole, des pois, du maïs, du triticale, c’est-à-dire des aliments qui pourraient servir directement à la consommation humaine.
En ce moment, le bien-être animal fait couler beaucoup d’encre. Beaucoup de nos internautes dénoncent la maltraitance des animaux pendant l’élevage et/ou l’abattage. Ils sont nombreux à se faire des idées via des vidéos en caméra cachée qui tournent sur internet. Qu’en pensez-vous ?
Si vous regardez le journal télé, vous ne verrez que des voitures ou des camions écrasés contre des arbres, tombés des ponts. Vous ne voyez jamais la réalité, les voitures qui roulent sans accident. C’est pareil pour les vidéos dans les abattoirs. Elles n’ont d’intérêt à être publiées sur internet que quand ça s’est mal passé. C’est d’ailleurs le vrai problème à résoudre, le manquement au bien-être dû à l’industrialisation de la mise à mort.“Le manquement au bien-être dû à l’industrialisation de la mise à mort est le vrai problème à résoudre.”Les services vétérinaires sont présents aujourd’hui dans tous les abattoirs et devraient assurer le respect des conditions d’abattage en étant mandatés par le ministère. Plutôt que des caméras qui amènent des images en dehors de leur contexte, je souhaiterais que tous les services vétérinaires, qui aujourd’hui ne sont préoccupés que par le côté bactériologique, aient les moyens de contrôler les conditions d’abattage dans le respect des animaux et des cadences. Ce serait un vrai progrès.Eli : C'est sûr que chouchouter les animaux avant de les emmener à l'abattoir, ça change vraiment la donne... "Ben oui on tue, on dépèce des millions de vaches. Mais on leur fait des petits câlins avant quand même, on n'est pas des monstres !" Ben voyons.
Jonathan : Ce n'est pas le travail des agriculteurs que ces vidéos choquent critiques, mais la fin tragique de ces pauvres bêtes. Bien ou mal traité cela reste la même chose au final.
Vanessa : Les gens n’ont toujours pas compris où est le problème : LA MORT ! c’est la mort le problème.
Certains internautes parlent du meurtre d'innocents en parlant du fait de tuer un animal pour se nourrir. Quel est votre avis ?
Il y a un problème général avec la mort dans nos sociétés occidentales. On cache la mort des animaux, mais aussi des humains. On ne refuse pas la mort en soit, on refuse de la voir. Il suffit d’ouvrir les grands médias et on ne voit que des gens beaux et en bonne santé. On ne verra jamais les gens en train de mourir. Connaître la vie c’est accepter la mort, alors si on a pas envie de manger de la viande, on n’en mange pas, mais si on décide d’en manger on sait ce que cela implique.“Connaître la vie, c’est accepter la mort.”Je vois dans la réaction de vos internautes des histoires d’amour, de câlins, on est dans des réactions avec l’animal que je ne comprends pas en tant qu’éleveur. Les animaux d’élevage ne sont pas des animaux de compagnie.Les éleveurs respectent leurs animaux, au moment de l’élevage, tout au long de leurs vies pour qu’ils soient en bonne santé. Ce qui est important, c’est surtout le respect au moment de la mise à mort et forcément quand vous tuez une vache à la minute, rien ne va plus. Il y a une industrialisation de la mort dans les grands abattoirs qui n’est pas cohérente avec un réel respect de l’animal. Je suis pour que les professionnels soient formés à des conditions d’abattage propre, sans travail à la chaîne. Le respect de la mise à mort est le maître mot.> Article lié : La cadence industrielle des abattoirs est-elle compatible avec le bien-être animal ?Si on refuse la mort, on oublie que la nôtre est prédéterminée. Nous qui vivons dans une ferme, on côtoie la vie et la mort tous les jours. Dans nos sociétés, la mort et la naissance sont complètement médicalisées, surtout la mort d’ailleurs. Ici la mort et la vie sont nos quotidiens et refuser la mort, c’est faire preuve d'hypocrisie ou d’un manque de compréhension de la vie.
L’être humain a si peur de la mort et souhaite vivre tellement longtemps qu’il a inventé l’acharnement thérapeutique pour rester en vie presque à n’importe quel prix. Pour les personnes âgées, il a également imaginé des maisons de retraite que certains qualifient de maisons d’isolement. L’homme a peur de la mort. Elle l’effraye, le terrifie. Mais connaît-il vraiment la vie ?
La mort fait partie du cycle de la vie. Nos sociétés se sont déreligionnisée et l’un des avantages des religions était de donner une perspective à la mort. Selon moi, connaître la vie, c’est accepter la mort. Le fait de vivre sans religion nous coupe de la mort, alors elle nous fait de plus en plus peur.“L’homme est là pour donner la vie, pas pour la garder éternellement. Il devrait être plus humble face à son passage sur terre.”Aujourd’hui certains médecins tentent de nous rendre immortels. On est déjà sept milliards sur terre, vous imaginez si on devenait tous immortels ? C’est trop égocentrique. Nous sommes là pour donner la vie, pas pour la garder éternellement. L’homme devrait être plus humble face à son passage sur terre. Comme notre société est très individualiste, nous avons du mal avec ces questions. Il faudrait une conscience plus collective.