Aux côtés de GE, cité par le cabinet de conseil, ou de constructeurs automobiles dont les applications embarquées comptent plus de lignes de code informatique que les systèmes d'exploitation modernes (au moins dans le cas de Tesla), les institutions financières figurent parmi les plus promptes à affirmer qu'elles sont, par nature (ou celle de leur matière première, l'argent, qui n'est qu'information), des sociétés de haute technologie dont l'ambition devient, en la matière, d'égaler l'excellence des géants du web.
Pourtant, derrière cette façade, ont-elles à leur tête, dans leurs comités exécutifs, dans leurs directions opérationnelles… des personnes possédant une expérience concrète du logiciel et de ses pratiques ? Comment peuvent-elles croire se transformer en championnes de la technologie quand les professionnels capables de comprendre les clés de cette industrie et d'appréhender les changements qu'elle vit quotidiennement sont relégués au fond des organigrammes, 3 à 5 niveaux hiérarchiques sous le sommet ?
Du point de vue de McKinsey, l'enjeu porte sur différents plans, à la fois stratégiques et opérationnels. Par exemple, la définition d'une vision à long terme requiert une perception intime non seulement des évolutions des comportements des clients et des collaborateurs mais aussi (et concomitamment) du rôle des spécialistes de l'expérience utilisateur dans le cycle de vie des produits. Surtout, certains choix techniques deviennent maintenant des décisions qui engagent directement l'avenir de l'entreprise.
La migration des applications vers un « cloud » public (et lequel ?), l'adoption d'une architecture de micro-services, la mise en œuvre de démarches agiles, d'approches de type DevOps (voire BizDevOps)… ne sont quelques-unes des grandes options disponibles aujourd'hui, qui sont laissées à l'appréciation de responsables intermédiaires. Plus haut dans la pyramide, elles ne sont, au mieux, que de vagues et obscurs concepts, alors qu'elles constituent les fondations de l'activité future, autant que l'est l'édification d'une nouvelle usine pour un constructeur automobile.
Par coïncidence (et non pour stigmatiser tel ou tel établissement), l'annonce, cette semaine, du plan de développement de BNP Paribas à l'horizon 2020 me donne une opportunité concrète d'éclairer les dangers inhérents aux structures dirigeantes actuelles des banques. Au cœur du programme figure ainsi une enveloppe de 3 milliards d'euros consacrée à la transformation « digitale », répartie sur 5 axes principaux : nouveaux parcours client, évolution du modèle opérationnel, adaptation des systèmes informatiques, utilisation des données au service du client et modernisation des méthodes de travail.
Sur le principe, il n'y a rien à redire à ces orientations, elles correspondent sans le moindre doute aux exigences du moment. Mais comment sont-elles déclinées, en pratique ? Qui détermine les budgets (à commencer par les 3 milliards) et comment seront-ils affectés ? Comment garantir que l'alignement stratégique sera tenu au cours du déroulement du plan ? Consultons la composition du comité exécutif de la banque : combien, parmi ses membres, possèdent une expérience technologique ? A priori, aucun.
Peut-être certains d'entre eux ont-ils une sensibilité numérique marquée. Mais leur suffit-elle à prendre conscience des défis à relever pour atteindre l'objectif fixé pour 2020 ? Prennent-ils, notamment, la mesure du handicap fondamental que représentent les systèmes informatiques historiques sur le chemin vers la banque « digitale » ? Si tel était le cas, ils se rendraient probablement compte que les sommes allouées à la transformation sont terriblement insuffisantes (même sans envisager de « big bang »)…
Si l'ambition des grandes entreprises est d'égaler la performance technologique des géants du web, elles doivent en intégrer toutes les composantes, en particulier dans leurs instances dirigeantes. Alors que, jusqu'à présent, ces dernières pouvaient se satisfaire d'une expérience du métier teintée de quelque connaissance du logiciel, les prochaines générations devront impérativement comprendre de véritables spécialistes de l'informatique (possédant également une indispensable connaissance du métier).