Apple Tree Yard (2017) : la culture du viol au bistouri

Publié le 10 février 2017 par Jfcd @enseriestv

Apple Tree Yard est une nouvelle série de quatre épisodes qui a été diffusée du 22 janvier au 6 février sur les ondes de BBC One en Angleterre. Son personnage principal, la Dre Yvonne Carmichael (Emily Watson) est une généticienne renommée travaillant à l’institut Beaufort de Londres. Un jour alors qu’elle effectue une visite au Parlement, elle fait la rencontre de Mark Costley (Ben Chaplin), aussi séduisant que mystérieux. En peu de temps, ils deviennent amants, bien que chacun de leurs côtés ils soient mariés. Peu après le début de leur relation épistolaire, un viol qui est commis viendra changer toute la donne et sans doute gâcher plusieurs vies. Adaptation du roman éponyme de Louise Doughty, Apple Tree Yard a tout d’une réponse à National Treasure qu’a diffusé Channel 4 à l’automne 2016 et qui se penchait sur la culture du viol. Qu’il s’agisse du point de vue féminin ou masculin, la réflexion est extrêmement pertinente et abordée de manière quasiment chirurgicale. Quant au crime en soit, sa représentation à l’écran en a fait réagir plusieurs… un mal nécessaire cela dit.

La culture du silence (**Divulgâcheurs)

Bien que tout au long de leur relation Yvonne ne connaisse pas grand-chose de Mark sinon qu’il travaille en sécurité, c’est la chimie qui les unit et qui semble plus forte que tout.  Un soir où son mari avec Gary (Mark Bonnar) est parti pour tout le weekend, Yvonne et Mark font l’amour dans une petite ruelle nommée Apple Tree Yard et après, elle va seule à une fête organisée par le Beaufort. Là, elle prend plus d’un verre et passe beaucoup de temps en compagnie de son collègue et ami George Selway (Steven Elder). Avant de partir, ils se rendent à son bureau afin qu’il puisse récupérer quelques documents et c’est à ce moment que tel un animal, il saute sur elle. Le lendemain, Yvonne est comme éteinte, mais décide de n’en parler à personne, mis à part à Mark. Le problème est que George essaie de garder contact avec elle comme si rien ne s’était passé, allant jusqu’à espionner certains de ses faits et gestes. Un jour, les amants se rendent chez lui. Yvonne attend dans la voiture pendant que Mark est censé lui faire comprendre d’éviter tout contact avec elle. Il revient quelques minutes plus tard blanc comme un drap. Il ne veut lui en dire plus, mais quelques jours après Yvonne et lui sont arrêtés pour le meurtre de George. Non seulement la protagoniste doit prouver son innocence tout en essayant de garder secrète son aventure avec Mark, mais le pire est qu’elle se rend compte durant le procès qu’elle ne le connaissait pas du tout en fait.

National Treasure nous montrait l’impact d’une accusation de viol sur le personnage principal, un homme, une légende de la télévision qui risquait sa réputation, sa carrière et son mariage. Dans la série de Channel 4, l’accent était davantage mis sur l’ambiguïté entourant le consentement de la « présumée » victime. Avec Apple Tree Yard, la culpabilité de George ne fait aucun doute puisque le téléspectateur en a été témoin. L’embuche qui se pose est de le prouver en cour, ce qui constitue en fait le thème central de la série et sa force puisque c’est avec une précision chirurgicale que l’on prend en compte tous les facteurs qui dissuadent l’héroïne de porter plainte. Ceux-ci peuvent se décliner en deux catégories.

La première est purement au niveau scénaristique et nous ramène au titre. Quelques heures avant ce viol, Yvonne a eu une relation sexuelle dans cette ruelle si bien que si l’équipe médicale de la police l’examine, elle trouvera deux sortes de spermes différents. En plus de la décrédibiliser, par ricochet son mari et sa famille apprendraient qu’elle a été infidèle. En prenant en compte que sa fille Carrie (Olivia Vinall) est sur le point de mettre au monde son premier enfant et que son fils Adam (Jack Hamilton) qui est bipolaire est au plus bas ces temps-ci, son instinct de mère lui dicte de s’effacer derrière ceux qui ont besoin d’elle.

La seconde catégorie nous ramène davantage à la réalité, celle à laquelle toutes les victimes pourront s’identifier. Comme Yvonne le mentionne à elle-même : « That’s who I am now, a victim ». C’est qu’aux yeux de la loi et de l’opinion publique, elle ne sera plus que définie par le moment le plus horrible de sa vie qu’elle espérerait au contraire effacer de sa mémoire. Le regard des autres, en particulier celui de sa famille serait insoutenable. Elle ne néglige pas non plus le procès et le contre-interrogatoire de la couronne qui entend remettre en doute sa parole, ce qui se passera effectivement. À ce sujet, avant que l’affaire n’éclate au grand jour, elle fait appel à deux « spécialistes » de la question et leurs propos nous donnent froid dans le dos. Le premier est un consultant en droit qui affirme que le fait d’avoir trop bu, d’avoir passé la soirée avec lui et d’être entrée dans son bureau se retournera contre elle. L’autre est un spécialiste des relations publiques et lui donne des conseils sur comment se comporter en cour sous le regard inquisiteur des jurés. Vêtements, maquillage, posture : tout ce qu’elle doit savoir pour mettre de l’avant la vulnérabilité que l’on associe au sexe faible, mais surtout pas la facette de la galanterie.

Une scène qui choque

Nul doute que la scène du viol a été difficile à encaisser. C’est que l’épisode jusqu’ici s’en tenait à une simple affaire extraconjugale se transforme en cauchemar sans crier gare. Dès lors, toute la dynamique change et dans un sens plus métaphorique, c’est comme si elle était punie pour son aventure. Mais c’est surtout la dureté de la mise en scène qui nous a laissée pantois. On a en effet droit à une succession de plans rapprochés de son visage, entrecoupés de plans noirs qui occupent une double fonction. La première est de suggérer que le temps passe tandis que la seconde sert à illustrer les black-outs qui assaillent Yvonne : comme si tout n’était qu’un mauvais rêve. La scène n’a laissé personne indifférent, dont Katie Russell, la porte-parole de l’organisation Rape Crisis England and Wales qui s’est dite profondément troublée, tout comme certains téléspectateurs. Si ce segment de la série dérange tant, c’est bien évidemment en raison de son graphisme… au point où même l’équipe de tournage et l’actrice principale ont affirmé avoir trouvé l’exercice difficile. En ce sens, ce réalisme cru force notre empathie à l’égard de la victime, ce qui est loin d’être une mauvaise chose.

En tous les cas, Apple Tree Yard a connu un bon départ avec près de 7 millions de téléspectateurs, se classant 9e dans le top 30 des programmes les plus regardés de la chaîne durant la semaine du 22 janvier. La scène de viol qui clôt l’épisode n’aura en fin de compte pas eu d’impact sur l’auditoire puisqu’il se chiffrait à 6,72 millions la semaine suivante. De son côté, la BBC a fait ce qu’il fallait : en plus d’un avertissement en début de série et une cote de 15 ans et +, à la fin de l’épisode, un numéro d’aide aux victimes était visible à l’écran.