Cécile Odartchenko, son éditrice, nous apprend le décès du poète Louis-François Delisse. Né en 1931 à Roubaix, publié au début des années 60 par Guy Lévis Mano, remarqué par René Char, Raymond Queneau ou encore Henri Michaux, le poète avait séjourné longtemps en Afrique (Niger) avant de revenir dans les années 80 en France et d'être redécouvert puis publié peu à peu par de petits éditeurs (Myrddin, Wigwam, Le Jardin ouvrier, Le Corridor bleu, les éditions des Vanneaux, Apogée). Absolument éloigné des cercles littéraires, il fut méconnu de tous sauf de la misère et de la maladie, et de quelques lecteurs qui le tiennent pour l'un des grands poètes de sa génération.
Laurent Albarracin
voir aussi ces mots d’Ivar Ch’Vavar
Tombeaux
"Chasseur, je fais ta chasse. Ombre, je suis ton ombre. Là je me tais, muette et désœuvrée."
Anne-Marie Beeckman
1.
Ma tombe n'aura ni dalle
ni croix, ni mon nom !
Sur ma tombe, laissez
courir des talons d'enfants.
Laissez les la couvrir
de leurs doigtiers de lis
et de leurs paumes de pommes
ma tombe n'aura ni voiles
ni linceuls, ni les dates.
2.
Enterrez-moi sous les marguerites
ongles du pré, sous le trèfle à
quatre feuilles, amour du pré.
Enterrez-moi dans la meule de
foin, croupe du pré. Dans la
gerbe d'orties, cuisse du pré.
Auprès d'un lièvre ou d'une perdrix
oubliés des fusils de la chasse.
Auprès de la mare, visage du pré.
3.
Ne m'enterrez pas sous une pierre,
enterrez-moi sous un arbre
entre ses racines, qu'elles m'
enfoncent encore la charogne
et qu'il m'élève les bras, la
tête, dans ses branches : je
volerai avec ses feuilles, je
tomberai avec ses fleurs,
avec ses fleurs j'expirerai.
4.
Si je meurs, jetez ma dépouille
aux ciseaux de la brume à l'aube.
Emportez-la sur les brancards
d'un tombereau, taillez-la en
lambeaux sur la coudraie,
que midi les fasse flotter
sur les vents contrariés,
que le soir vienne les brûler,
et minuit sur sa misère constellée.
5.
Je lègue à ce monde ma peau
quand elle aura bien pourri.
A ce monde je lègue toute
une marmite de ma chair
quand les gaz l'auront enflée
et colonisé les plus gros de mes
vers. A ma femme je lègue mon os
quand il sera bien sec et jaune
pour lui faire à son tour la peau.
Louis-François Delisse, extrait de Louis-François Delisse, par Laurent Albarracin, éditions des Vanneaux, collection Présence de la poésie, 2009, pp. 252-254.
Note bibliographique