Max Lobe et Pierre Fankhauser
Ce soir, l'association littéraire Tulalu!?, qui pour la troisième fois se délocalise à Sion, reçoit Max Lobe, à la Médiathèque du Valais. La rencontre est animée par le charismatique Pierre Fankhauser, qui demande à l'invité, une fois n'est pas coutume, de lui répondre s'il va bien en bassa, langue parlée au Cameroun dont il est originaire...
Max Lobe joue le jeu et lui répond en bassa. Pour l'auditoire, qui ne comprend pas un traître mot de cette langue bantoue, à l'exception de ma voisine de droite, prénommée Sissi, comme l'impératrice, Max a l'obligeance de traduire ses propos: il en ressort qu'il est en forme et qu'il est venu en train depuis Genève. Il en profite pour dire que son nom de famille se prononce Lobé et que Lobe est son nom d'artiste...
Max et Pierre se tutoient dans le civil. Ils ont convenu de ne pas recourir à un voussoiement de circonstance, pour que la rencontre soit conviviale. La maman de Max, que sa fratrie n'a jamais appelée que par son prénom (elle a eu sa première fille à 15 ans et lui, le cinquième, à 22), lui a recommandé, pour se préparer à la rencontre de ce soir, de prier et d'avoir la foi, afin qu'elle soit réussie.
La foi, en langue bassa, n'a pas le même sens que le mot français. Max parle dans son livre La trinité bantoue du cancer de l'oesophage d'une mère. Il s'est inspiré de celui de sa mère: un jour, le médecin leur a dit, à ses soeurs et à lui, que leur mère n'en avait plus pour longtemps et a proposé de la débrancher, mais sa soeur aînée, qui a la foi, a fermement refusé qu'elle le soit. Lui aurait accepté...
Contre toute attente, aujourd'hui, la mère de Max vit très bien, à Lugano, complètement guérie. Chaque jour il s'entretient longuement avec elle au téléphone. C'est, comme il dit, sa potesse. Il y a entre elle et lui un amour fusionnel. C'est peut-être pourquoi, alors qu'il n'y avait pas prêté attention jusqu'à ce qu'un journaliste lui en fasse la remarque, il est question de rapports mère-fils dans ses trois derniers livres...
Max est arrivé à Genève à 18 ans, en 2004. Comme il ne connaissait rien à la Suisse, il s'est conduit au début comme un villageois, ce qui est considéré comme une injure au Cameroun. Une de ses soeurs lui a ainsi demandé une chose apparemment simple, d'aller acheter des oranges à la Migros. Il n'en a pas trouvé, parce qu'au Cameroun, les oranges sont vertes...
Max n'est retourné au Cameroun qu'au bout de dix ans, en 2014, si l'on excepte la fois où il s'y est rendu pour l'enterrement de son père, en 2009. Il y est retourné parce qu'il a voulu connaître sur place l'histoire cachée de l'indépendance de son pays natal, après avoir lu le volumineux livre Kamerun!, de Thomas Deltombe, Manuel Domergue et Jacob Tatsitsa.
Son dernier livre, Confidences, est le récit de ce voyage de retour au point de départ. Hormis Mâ Maliga (elle est octogénaire, ce qui est singulier dans un pays où l'espérance de vie est de cinquante ans: ne serait-elle pas sorcière?), personne, même pas sa tante, ne veut lui parler de ce passé. Pour conjurer le malheur, il est des choses dont il vaut mieux ne pas parler.
Cette guerre d'indépendance - au mot d'indépendance, Max préfère le mot de kundè, qui, en bassa, signifie liberté de disposer de soi - n'est pas racontée dans les écoles. Elle demeure cachée. Mais un pays ne cache que ce dont il a honte, car, autrement, quand il n'a pas honte, à défaut d'avoir des héros, il s'en invente...
Guillaume Prin
Avec un léger, subtil, accent camerounais, la lecture, par le comédien Guillaume Prin, d'un monologue de Mâ Maliga, situé au début de Confidences, est l'occasion pour Max de souligner qu'il y a le parler, l'oralité et qu'ils sont plus difficiles qu'on ne pense à restituer par l'écriture de telle manière qu'ils soient compréhensibles par le lecteur.
Une autre lecture relate la guerre cachée. Une fois que Guillaume Prin s'est tu, cette lecture laisse sans voix l'invité et... l'assistance, parce que sont évoqués des mauvais traitements, des massacres, des camps de concentration - à ne pas confondre bien sûr avec des camps d'extermination -, baptisés là-bas zones de pacification, zopacs...
Une lecture d'un extrait de La trinité bantoue relate une manifestation organisée par une ONG qui s'insurge contre l'affiche de la discorde, où l'on voit des moutons blancs, l'un d'entre eux chassant un mouton noir du pré où ils paissent. Tandis que les manifestants marchent animés de bons sentiments, le ventre du stagiaire de l'ONG chante...
Max Lobe se situe entre deux cultures, africaine et européenne. Quand il va au Cameroun il est considéré comme un blanc, quand il retourne en Suisse il n'est pas du tout considéré comme tel. Sa langue maternelle est le français de là-bas, mais sa langue actuelle est celle d'ici. Quand il écrit les deux influences apparaissent, et c'est charmant.
Comme est charmant ce rite, qu'il est peut-être l'un des derniers à observer, ici et peut-être même là-bas: quand il s'apprête à cueillir un fruit sur un arbre, il lui adresse intérieurement, et préalablement, une prière, où il lui dit qu'il ne lui veut aucun mal, qu'il veut simplement se nourrir et qu'il lui en demande la permission...
Francis Richard