Claude Marthaler, voyageur d’origine suisse, entreprend de faire le tour complet de Cuba à vélo. Son périple de 4000 kilomètres le mène des ruelles de La Havane aux champs de cannes à sucre et de maïs.
« Voyager à vélo permet de percevoir intimement les terres traversées, d’absorber les petits riens et d’accueillir des confidences sans contrainte ni effraction. De ressentir à pleins poumons les soubresauts du monde, son temps fragile, pour tenter de comprendre la réalité avec instinct et sans complaisance. Je ne connais pas plus honnête qu’une bicyclette pour découvrir un territoire, sillonner cette île entre les lignes de ses paumes ouvertes. » (p. 17)
Le Cuba que présente Claude Marthaler est un Cuba authentique, loin de l’image de carte postale touristique. On y découvre les conditions de vie des habitants des villes et des villages qu’il traverse, les traces d’un temps révolu.
« Cuba-la-schizophrène a développé à tous les domaines une économie parallèle, souvent invisible aux touristes, qui, à défaut d’être florissante, fonctionne grâce à l’initiative individuelle, au risque de tout perdre en cas de délation. À chaque interdiction, les citoyens contournent la loi et réalisent une version escondida, leur bouée de sauvetage. Pour eux, la révolution ment à longueur d’année. Ils n’en attendent plus rien et improvisent quotidiennement. » (p. 195)
La débrouillardise n’est pas un art de vivre mais une nécessité vitale à Cuba. Chacun gagne son revenu comme il peut, exerce un petit métier pour survivre : ponchero (réparateur de chambre à air), campismo (vendeur de tomate et d’oignons), panadero (boulanger livreur de pain à domicile), vendeur à la criée de barres de mani (cacahuètes) et de glaces…
« Face au monde chronique, tout le monde trafique, bricole de près comme de loin, et tire une grande fierté à trouver une solution pour soi-même et sa famille. On mentionne son ingéniosité à réutiliser, recycler ou réparer le vieux quand le neuf est indisponible ou inaccessible. » (p. 100)
« L’acronyme de n’importe quel modèle de Jeep, Just Enough Essential Parts, pourrait à lui seul résumer le rêve des Cubains : enfin ne plus manquer de l’introuvable essentiel ! » (p. 124)
Au fil de ses étapes et de ses rencontres, Claude Marthaler recueille des instantanés de réalité et les confidences des habitants. Maximo qui a habité en Allemagne ; Félix et sa compagne Francisca qui habitent la pièce d’une finca (une ferme) ; Enrique le passionné de vélo ; Rubèn qui fait du commerce de poissons et de langoustes ; Arnaldo avec qui il partage la route quelque temps ; Margarita qui lui demande de l’épouser ; Jésus qui attend impatiemment le certificat de naissance de sa grand-mère espagnole ; Roby le chasseur de nickel à la centrale nucléaire désaffectée de Jaraguà ou encore Carmelo à 92 ans, le doyen des cyclistes cubains… Par ces témoignages, on ressent clairement la gentillesse, l’hospitali-T. et la joie de vivre à toute épreuve des Cubains.
« Aucun citoyen n’est abandonné, mais au contraire toujours soutenu par un voisin ou un membre de sa famille. La solidarité n’est pas un slogan politique, ni un vilain mot, mais une pratique quotidienne. » (p. 129)
« Je salue la résilience des Cubains qui ont l’attachante capacité de s’endurcir sans jamais se départir de tendresse et d’humour. » (p. 198)
Il partage aussi certaines anecdotes insolites, comme celle du camello, le chameau cubain, ou de Felix qui a construit le plus haut vélo du monde.
Ses éclairages historiques sont autant de détours utiles à la compréhension de cette île-pays.
Le régime castriste n’est pas épargné : l’auteur en parle avec la liber-T. de ton, la franchise et le recul du voyageur aguerri.
« Pour un voyageur, le temps et la distance sont comme les deux bords de la route qui se confondraient avec l’infini. En mouvement, c’est l’espace qui donne la mesure de toute chose, la taille véritable d’un être humain. À chaque période d’une vie vagabonde correspond la mémoire d’un lieu et de ses habitants. D’une certaine manière, une belle façon de ne pas perdre de temps est de l’emprunter en voyageant. Peu de choses, comme la route, incarnent cette magnifique illusion d’éternité. » (p.133)
› Confidences cubaines – Claude Marthaler. Éditions Transboreal
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