Gilles Costaz
Cuisines et Dépendances puis Un air de famille renouvelèrent l’écriture de la comédie, qui commençait à s’essouffler en France, en 1991 et 1994 (si l’on excepte quelques grands auteurs comme Yasmina Reza ou Louis-Charles Sirjacq). Comment résonnent ces deux pièces de Jean-Pierre Bacri et Agnès Jaoui aujourd’hui qu’elles sont reprises en diptyque dans une mise en scène d’Agnès Jaoui mais avec de nouveaux interprètes ? Cela reste toujours un plaisir raffiné, grâce à un style facétieux et à un art de la satire qui va au-delà de la simple observation amusée de nos contemporains. C’est l’image douce-amère de nos petites vies !
Les sujets de chaque pièce sont connus, puisque ces textes ont été portés à l’écran. Dans Cuisine et Dépendances, un couple de bons bourgeois reçoit une personnalité de la télévision qui se conduit comme un goujat ; ils applaudissent toutes ses incartades, tandis qu’un ami hébergé dans l’appartement observe la lâcheté du couple et les fractures sentimentales qui se produisent. L’originalité de la pièce est que tout est vu de la cuisine : une bonne part des événements sont relatés par les personnages lorsqu’ils passent à l’office. Seul, l’invité mal élevé, qui est pourtant le personnage principal, reste invisible : il est entièrement perçu à travers le dialogue des autres. C’est d’une construction très adroite. Dans Un air de famille, une mère, ses enfants et la belle-fille se retrouvent, comme tous les vendredis, dans le restaurant de l’un des fils. Ce devrait être la fête, mais tout va mal : dans le travail comme en amour, presque tous ont des problèmes qu’on se cache et qui se dévoilent, faisant monter la tension, dans l’ambiance alcoolisée du bistrot. Là aussi, les histoires des uns et des autres se croisent dans un habile manège.
La distribution est dominée par Grégory Gadebois, qui reprend les rôles de Jean-Pierre Bacri : c’est un comédien d’une puissance et d’une émotion rare. Mais tous les rôles sont tenus avec finesse : Léa Drucker est différente d’un rôle à l’autre et aussi juste en femme déçue par la vie qu’en godiche. Nina Meurisse déploie un jeu sensible et secret. Laurent Cappelluto a une présence différente des autres, avec une distance malicieuse. Jean-Baptiste Marcenac cadre parfaitement deux figures de français moyen qui tentent d’être au-dessus de la mêlée et restent dans la médiocrité. Alors, si l’on ne peut voir les deux spectacles mis en scène au petit point par Agnès Jaoui, lequel choisir ? Ils sont d’une grande qualité l’un et l’autre mais l’on peut préférer Un air de famille, qui bénéficie de l’interprétation de Catherine Hiegel, magnifique en mère de famille péremptoire, et où l’écriture se fonde davantage sur la dualité entre la comédie pure et l’émotion à fleur de mots.Cuisine et Dépendances, Un air de famille de Jean-Pierre Bacri et Agnès Jaoui, mise en scène d’Agnès Jaoui, assistanat de Stéphanie Froeliger, décor d’Alban Ho Van assisté d’Ariane Bromberger, lumières de Dominique Bruguière assistée de Cathy Pariselle, musique de Xavier Jacquot, costumes de Nathalie Raoul assistée de Lucie Maggiar, avec Grégory Gadebois, Léa Drucker, Laurent Capelluto, Jean-Baptiste Marcenac, Nina Meurisse dans les deux pièces, et Catherine Hiegel uniquement dans Un air de famille.
Porte Saint-Martin, les deux pièces, en alternance semaine après semaine, du mardi au vendredi à 20h, dimanche à 16 h. Le samedi à 17h et 20h30 : intégrale des deux pièces, avec Cuisine et Dépendances d’abord, puis Un air de famille. Tél. : 01 42 08 00 32. (Durée : 1 h 30 chaque pièce). Textes à L’Avant-Scène Théâtre.