Le quatrième mur, dans la mise en scène de Julien Bouffier, est un écran. Une fois sortie de l’hôpital et chargée de la promesse faite à Sam de monter Antigone au Liban, la jeune femme, étudiante en histoire, en sera comme prisonnière. Elle ne le franchira pas, ce quatrième mur, elle parlera avec des gens dont l’image sera projetée sur cet écran. L’image projetée, comme un projet, pour lequel on se bat, qu’on voudrait voir se réaliser et qui reste projet. Parler avec les images d’un film, cela dit beaucoup de la difficulté de communiquer d’ici à là-bas, de la France au Liban. « Vous croyez que notre combat c’est l’opposition entre la gauche et la droite ? » dit un des personnages sur l’écran. Et la jeune femme ressent la violence des tirs, et nous en subissons les effets. Nous sommes en 1982, les rivalités à Beyrouth font des morts, chaque immeuble pouvant abriter des snipers. La ligne de démarcation, en particulier, entre l’Est et l’Ouest, est le lieu de tous les dangers. Un vieux cinéma délabré sera l’endroit rêvé d’une trêve. Les Libanais, de quelque obédience qu’ils soient, vont jouer Antigone. « Antigone, c'est la petite maigre qui est assise là-bas, et qui ne dit rien. Elle regarde droit devant elle. Elle pense. Elle pense qu'elle va être Antigone tout-à-l'heure, qu'elle va surgir soudain de la maigre jeune fille noiraude et renfermée que personne ne prenait au sérieux dans la famille et se dresser seule en face du monde, seule en face de Créon, son oncle, qui est le roi. Elle pense qu'elle va mourir, qu'elle est jeune et qu'elle aussi, elle aurait bien aimé vivre. Mais il n'y a rien à faire. Elle s'appelle Antigone et il va falloir qu'elle joue son rôle jusqu'au bout… » C’est le texte de Jean Anouilh. Un texte où elle dit à Créon : « Moi je suis là pour autre chose que pour comprendre, je suis là pour vous dire non et pour mourir. »
Mourir. Dans la guerre que se livrent les uns et les autres, ou sous un bombardement des Israéliens. Nous sommes en 1982, En septembre 1982, souvenons-nous, c’est le massacre de Sabra et Chatila. L’étudiante en histoire entre dans le camp palestinien. Elle décrit ce qu’elle voit. Elle s’extirpe du piège et franchit le quatrième mur qui s’est écroulé sur elle. Mais comment trouver les mots ? Qui témoignera ? Elle n’invente pas, elle lit : les cadavres, celui d’Imane, qui devait jouer Antigone… Et Imane vient à son tour de ce côté-ci du quatrième mur. Les morts viennent nous dire l’horreur, à nous qui regardons s’ébattre les canards sur l’étang, les enfants faire de la balançoire ou manger des glaces. La guerre a pris la jeune femme, on la suit à la trace de ses pas sur le plateau. Et s’installe un long silence dans l’obscurité, sa musique douloureuse est entrée en nous : « Bonjour obscurité, ma vieille amie, je suis encore venu parler avec toi ». C’est la chanson de Simon et Garfunkel, interprétée ici par Alex Jacob, « The sound of silence ».
(en cliquant sur la photo ci-dessus, vous atteindrez le blog de la création de ce spectacle, d'où elle est extraite)
J'ai vu ce spectacle au Théâtre Jean Vilar de Vitry-sur-Seine (94).