" Pas plus que l'individu n'est seul dans le groupe et que chaque société n'est seule parmi les autres, l'homme n'est seul dans l'univers. Lorsque l'arc-en-ciel des cultures humaines aura fini de s'abîmer dans le vide creusé par notre fureur, tant que nous serons là et qu'il existera un monde, cette arche ténue qui nous relie à l'inaccessible demeurera, montrant la voie inverse de celle de notre esclavage et dont, à défaut de la parcourir, la contemplation procure à l'homme l'unique faveur qu'il sache mériter : suspendre la marche, retenir l'impulsion qui l'astreint à obturer l'une après l'autre les fissures ouvertes au mur de la nécessité et à parachever son œuvre en même temps qu'il clôt sa prison. " (Claude Lévi-Strauss, le 5 mars 1955).
Le vendredi 27 janvier 2017, deux événements montrent à quel point les États-Unis et la France sont idéologiquement éloignés. À Washington, le nouveau Vice-Président des États-Unis Mike Pence a participé à la "Marche pour la vie" aux côtés des opposants au droit à l'avortement. Quelques heures auparavant, les faisceaux horaires obligeant, à Paris, au Palais-Bourbon, les députés français ont adopté le projet de loi qui renforce le délit d'entrave pour la communication faite à propos de l'avortement, empiétant sur la liberté d'expression. On peut d'ailleurs imaginer qu'en France, les excès des uns pourraient provoquer l'arrivée d'autres excès diamétralement opposés.
Au sommet du pouvoir, aux États-Unis, beaucoup comptaient pourtant sur Mike Pence pour "tempérer" la fureur intrinsèque du 45 e Président des États-Unis, Donald Trump. Son investiture officielle a eu lieu, comme le veut la tradition, le 20 janvier 2017 au cours d'un cérémonie faste devant le Capitole, à Washington.
Les médias français ont surtout porté leur attention sur les manifestants, certes réels, contre l'arrivée au pouvoir de ce qu'ils considèrent comme un populiste grossier et sexiste. Pourtant, la démocratie a cette nécessité de reconnaître l'élection tant que celle-ci s'est déroulée dans les conditions sincères et correctes. La palme serait sans doute à attribuer à un journaliste de la nouvelle chaîne de télévision France Info qui, le 24 janvier 2017 peu avant minuit, en mélangeant tout, a lâché : " Donald Trump, comme pour les tenants du Brexit, ont amené la communication politique dans une ère nouvelle. ".
Bien qu'il ait eu moins de suffrages exprimés que sa concurrente Hillary Clinton, Donald Trump a été élu selon les règles doublement séculaires de la Constitution américaine. Il n'a pas été le seul dans ces conditions ; très récemment, George W. Bush Jr. a été élu ainsi en novembre 2000. Par conséquent, personne, ni aux États-Unis ni a fortiori dans le monde entier n'a le droit de contester la légitimité de Donald Trump. À cet égard, la réaction du Président français François Hollande, refusant de se faire représenter à Washington, dont l'impolitesse diplomatique est plus que désolante, risque de contrevenir aux intérêts réels de la France dans un futur proche.
On peut se rappeler l'extrême rudesse de la campagne présidentielle américaine de 2016, son niveau de caniveau, ses attaques particulièrement féroces entre les candidats. Et pourtant, malgré la haine sans doute développée, les citoyens américains sont des patriotes en ce sens qu'une fois la bataille achevée, ils sont capables, dans leur grande majorité, de se rassembler autour de, derrière, leur Président élu. C'est le principe de légitimité.
On voit évidemment la grande différence avec la France. Depuis une dizaine d'années, le Président de la République, pourtant clairement élu, doit subir une vague d'impopularité voire de détestation populaire dès les premiers mois de son mandat, à croire que ses propres électeurs sont soit "schizophrènes" soit "amnésiques".
L'autre grande différence, c'est la réconciliation nationale. Le Président sortant Barack Obama, malgré ce qu'il en pense, a accueilli son successeur avec grande courtoisie et même sourire. Donald Trump lui-même n'a pas hésité à faire ovationner sa concurrente Hillary Clinton, présente avec son mari Bill, lui-même ancien Président des États-Unis, au cours du dîner qui a suivi.
En France, au contraire, le 21 mai 1981, le Président Valéry Giscard d'Estaing quitta l'Élysée à pieds sous les cris et les huées de quelques excités assez naïfs pour croire que François Mitterrand allait leur offrir le Grand Soir. Même Jacques Chirac, une fois élu, n'a pas cessé de bouder les amis de son concurrent (pourtant du même parti) Édouard Balladur, refusant la magnanimité du vainqueur (ce qui a réduit d'autant son assise politique).
En devenant Président des États-Unis, Donald Trump n'a pas transmuté. Ceux qui s'étonnent qu'il n'a pas changé n'ont rien compris à l'homme. Donald Trump ne va pas se présidentialiser, c'est la Présidence qui va se trumpiser. Et on doit admettre qu'il n'a pas perdu de temps. En bon chef d'entreprise impatient d'aller au combat.
Dès le 23 janvier 2017, Donald Trump a signé un décret pour désengager les États-Unis de l'accord de partenariat transpacifique. Le 25 janvier 2017, il a signé un autre décret pour poursuivre le projet de construction d'un mur le long de la frontière américano-mexicaine.
Enfin, parmi les multiples décisions déjà prises, Donald Trump a signé le 27 janvier 2017 le décret n°13769 "Protéger la Nation de l'entrée de terroristes étrangers aux États-Unis", le décret plus controversé actuellement qui interdit l'entrée sur le territoire américain de ressortissants de sept pays à majorité musulmane : l'Iran, l'Irak, la Libye, la Syrie, le Yémen, le Soudan et la Somalie, en remettant même en cause les visas déjà accordés par les États-Unis. Ce décret a choqué non seulement la "communauté internationale", mais également de nombreux responsables républicains aux États-Unis (notamment Dick Cheney et John MacCain).
C'est une idée complètement contraire à la mentalité américaine qui sait que la diversité enrichit toujours un groupe. Si la recherche scientifique des États-Unis est la première du monde, c'est bien grâce à l'apport de nombreux chercheurs étrangers venus travailler sur le sol américain, et l'apport des chercheurs iraniens, par exemple, n'est pas le moindre. Même historiquement, la composition de la population américaine s'est établie sur les vagues migratoires successives, y compris irlandaise.
Non seulement ce décret va à l'encontre de la tradition migratoire américaine, mais il a pris en otages de nombreux voyageurs qui étaient dans la légalité au moment de prendre leur avion et qui se retrouvaient dans l'illégalité à l'arrivée sur le sol américain. Les médias ont fait état de nombreux exemples très absurdes comme ce citoyen irakien vivant aux États-Unis qui travaillait pour l'armée américaine comme traducteur en Irak et qui revenait d'un déplacement à l'étranger. Ou encore, comme Kjell Magne Bondevik, ancien Premier Ministre norvégien du 17 octobre 1997 au 17 mars 2000 et du 19 octobre 2001 au 17 mars 2005, fut retenu pendant une heure par la police à Washington en raison d'un séjour en Iran en 2014.
Pour défendre ce décret, Kellyanne Conway, une conseillère importante de Donald Trump depuis le 22 décembre 2016, a inventé le 2 février 2017 un massacre imaginaire, le "massacre de Bowling Green" qui aurait été commis par deux ressortissants irakiens arrivés aux États-Unis. Elle a été ridiculisée sur les réseaux sociaux et pour se moquer d'elle, la ville de Bowling Green, dans le Kentucky, ainsi que le quartier de Bowling Green à New York ont organisé de fausses soirées commémoratives rendant hommage aux victimes (inexistantes) de ce (faux) massacre.
Pour montrer sa détermination, Donald Trump a limogé le 30 janvier 2017 la Ministre de la Justice par intérim ("US Attorney General") Sally Yates qui s'était opposée à ce décret anti-immigration, doutant de sa légalité et de sa moralité. Mais chez les juges, l'opposition s'est cependant organisée : plusieurs juges fédéraux (Ann Donnelly, Allison Dae Burroughs, Leonie Brinkema) et un procureur général (Bob Ferguson) ont ordonné en référé la suspension du décret.
C'est ceci le plus intéressant : aux États-Unis, la séparation des pouvoirs est bien réel (Barack Obama en a été bien conscient face à un congrès doublement républicain). Et les juges sont indépendants de l'exécutif. La confrontation démocratique risque de ne pas être en faveur de la Maison-Blanche.
En France, au contraire, l'Élysée a une toute puissance qui fait que l'élection présidentielle française constitue un enjeu plus important qu'aux États-Unis. Contrairement à ce qu'on pourrait croire, l'avancée démocratique la plus grande des deux dernières décennies en France, ce fut Nicolas Sarkozy qui l'a réalisée. La révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 a en effet créé la question prioritaire de constitutionnalité, une arme fondamentale pour garantir des contre-pouvoirs et pour s'opposer à toute dérive d'un exécutif délaissé par distraction à un roi ou à une reine Ubu...
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (06 février 2017)
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Pour aller plus loin :
Les premiers pas de Donald Trump.
Obama termine européen.
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Donald Trump, 45e Président des États-Unis.
La doxa contre la vérité.
Peuple et populismes.
Issue incertaine du match Hillary vs Donald.
Donald Trump, candidat en 2016.
Match Hillary vs Donald : 1 partout.
Hillary Clinton en 2016.
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Donald Trump et Fidel Castro ?
La trumpisation de la vie politique américaine.
Mode d'emploi des élections présidentielles américaines.
Idées reçues sur les élections américaines.
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Le 11 septembre 2001.
Honneur aux soldats américains en 1944.
Hommage à George Stinney.
Obama et le "shutdown".
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Les 1234 exécutés aux États-Unis entre 1976 et 2010.
La peine de mort selon Barack Obama.
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Sarah Palin.
John MacCain.
Mario Cuomo.
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