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Caroline De Mulder avait
frappé les esprits avec son premier roman, Ego
tango, couronné par le prix Rossel en 2010. On s’y était laissé entraîner
par le vertige qui gagnait l’héroïne au rythme d’une écriture dansante –
forcément dansante – et très tenue. Le tango, bien sûr… On avait donc attendu
le deuxième roman, publié deux ans plus tard et aujourd’hui réédité au format
de poche, avec un peu de crainte, tant la première barre avait été placée haut.
Mais Caroline De Mulder prouvait décidément qu’elle a le tempérament d’une
véritable écrivaine. Elle ne refuse pas l’obstacle. Elle le domine au contraire
avec une élégance à laquelle il faudra s’habituer, un mélange de force rageuse
et d’impressionnante souplesse. Retour gagnant, donc, avec Nous les bêtes traquées.
C’est une femme, encore,
qui raconte. Marie ne danse pas mais se débat entre attirance et répulsion pour
Max, l’homme qui l’a tirée du trou où elle se trouvait pour l’entraîner dans
une impasse. Max est un homme assez agité, voire fébrile. Il a peut-être des
raisons de l’être, car cet avocat s’attaque à des intérêts auprès desquels sa
vie ne pèse pas lourd. Il craint donc en permanence d’être empoisonné et jette
sans cesse de la nourriture. Une sorte de garde du corps le protège, à moins
qu’il ait été placé là pour le surveiller. Les menaces sont imprécises mais
rôdent autour du couple formé presque par hasard, et au moins par raccroc.
Il y a du thriller dans
la trame du roman. Mais la piste de l’intrigue est masquée par une accumulation
de détails qui finissent par prendre plus d’importance que le fil conducteur.
C’est à travers ces détails que nous percevons le désarroi de Marie, les
certitudes de Max, leur dérive commune – qui les entraîne sur des chemins
divergents. En filigrane, Caroline De Mulder joue avec les enjeux réellement en
cause dans certaines actions humanitaires détournées de leur sens. Et c’est de
la même manière, en filigrane, qu’elle joue avec les aspects narratifs du
texte, si bien que celui-ci épouse parfaitement la forme de son sujet fuyant,
caché. Sa capacité à trouver la meilleure manière de construire un récit et de
lui donner de la chair à travers les mots était une des grandes qualités d’Ego tango. Il fallait en trouver
l’équivalent dans un autre monde. C’est fait aussi, dans une totale maîtrise
qui fait adhérer sans réserves à Nous les
bêtes traquées, avec la certitude rassurante qu’il y avait là, dès ces deux
premiers romans, le début d’une œuvre riche d’immenses possibilités. On ne
s’est pas trompé puisqu’elle a, depuis, largement confirmé les espoirs qu’on
plaçait dans son œuvre naissante.