Nous regroupons ici des pendants à un seul personnage, mais pas tout à fait un homme ou une femme…
Le Singe sculpteur
Watteau, vers 1710,Orléans, Musée des Beaux-Arts
Le Singe peintre
Watteau, Musée des Arts Décoratifs, Paris
Il s’agit sans doute ici de se moquer des artistes prétentieux qui se réfèrent au vieil adage « Ars simia naturae », l’Art est le Singe de la Nature, ridiculisé par Molière dans ses Précieuses ( le Singe de la Nature est une périphrase pour le miroir).
Le singe-sculpteur peaufine d’un oeil lubrique le cou de la belle statue, qui de dégout regarde ailleurs. A noter l’amusante analogie entre les deux décolletés, celui de la Belle et celui de la Bête.
Le singe-peintre, prend la pose noble du mélancolique, une patte griffue posée sur le chevalet ; derrière lui un buste de philosophe sourit ironiquement. A noter l’amusante analogie entre la robe d’intérieur luxueuse et la toge.
Sous couvert d’illustrer latéralement l’opposition classique entre Sculpture et Peinture, le pendant fonctionne en fait dans la profondeur : chaque tableau met en balance un humain statufié et sa caricature simiesque.
Le singe-peintre
Chardin, 1740, Musée des Beaux Arts, Chartres
Le singe-antiquaire
Chardin, 1740, Musée des Beaux Arts, Chartres
Dans la même veine ironique, le pendant caricature cette fois l’Artiste et l’Amateur d’Art. Tout comme Watteau, Chardin exploite le potentiel comique des jambes velues sous les tissus luxueux.
Dans la version du Louvre, on comprend que c’est nous, le spectateur, qui sommes pris comme modèle, et que c’est sous forme simiesque que l' »artiste » est en train de nous dessiner.
Les Polichinelles peintres Les Polichinelles chanteurs
Hubert Robert, 1760, Musée de Picardie, Amiens
Réalisés durant les années romaines d’Hubert Robert, ces panneaux pleins de verve et de dérision mettent en scène, dans un atelier rustique ou en prison,trois polichinelles en chapeau pointu qui se prennent pour des artistes, dans la lignée des singes de Watteau et de Chardin.
« Dans le premier panneau, un polichinelle peintre est assis sur un tonneau et, palette en main, ébauche un tableau placé sur un chevalet. A sa gauche une bouteille de vin et un verre illustrent son penchant pour la boisson. Près de lui un chien joue avec un chat et, plus loin, dans la pénombre de l’atelier, deux autres polichinelles s’emploient à broyer des couleurs.
Dans l’autre peinture, un polichinelle assis sur un tambour et deux de ses compagnons debout près de lui chantent joyeusement en suivant une partition dressée sur un lutrin rustique. Leur jovialité s’explique sans doute par la présence de quatre bouteilles de vin placées au sol et qui ont dû faciliter l’ardeur musicale des protagonistes qui chantent allègrement. « Notice de Matthieu Pinette, base Joconde [2]
Magritte a pratiqué à plusieurs reprises une formule très particulière : celle du pendant à un seul tableau.
Le double secret
Magritte, 1927, Centre Pompidou, Paris
Nous suivons ici dans ses grandes lignes l’analyse détaillée de Nicole Everaert [1].
En enlevant la peau pour montrer la structure cachée, l’oeuvre fonctionne à la fois selon le principe du dévoilement et celui du dédoublement (puisque le visage enlevé est conservé à côté, comme un masque).
Que voit-on à l’intérieur ? Des grelots invaginés dans une membrane métallique : nous effleurons ici le thème de l’automate, du mécanisme caché sous la chair.
Pour Nicole Everaert, une clé de lecture possible pourrait être le mot de « marotte », qui signifie à la fois le sceptre du fou, garni de grelots, et « une tête de femme, en bois, carton, cire …, dont se servent les modistes, les coiffeurs ».
Une seconde clé est fournie par le titre, qu’on peut lire de deux façons : « Est-ce le secret qui est double ? Ou le double qui est secret ? Les deux à la fois! » :
- lorsque « double » est l’adjectif et « secret » le substantif , nous voici dans le thème du dévoilement et de l’absence de parole : exprimés visuellement par le masque inexpressif et par les « grelots réduits au silence par leur fixation sur la surface ondulée ».
- lorsque « double » est le substantif et « secret » l’adjectif, nous voici dans le thème du dédoublement : la copie dissimulée à l’intérieur de nous-même n’est qu’une collection de grelots (ou de hochets) ; le visage mystérieux ne cache finalement que du rien.
Le cercle vicieux
Magritte, 1937, perdu durant le Blitz en 1940
Une femme enlace et embrasse son double anatomique.
Pourquoi ce cercle est-il vicieux ? Parce que si la femme a été coupée en deux comme une carcasse animale, alors les deux moitiés que nous voyons sont en fait la même, vue de devant et de derrière. L’enlacement amoureux n’est qu’un substitut à un recollage impossible : parfaite illustration de l’Androgyne de Platon.
Décalcomanie
Magritte, 1966, Collection privée
Il y a de nombreuses manières de décrire ce tableau.
On pourrait dire qu’il nous restitue, en projection sur un rideau de cinéma, non pas ce que l’homme en chapeau regarde, mais ce qu’il nous empêche de voir. Ainsi le pendant glisse sémantiquement de « couper la vue » à « découper la vue ».
On pourrait aussi dire que dans le pendant de gauche, l’homme est devant le rideau qui est devant la mer. Et que dans le pendant de droite, le rideau est devant la mer qui est devant le rideau qui est devant la mer.Autrement dit : supprimer l’homme, c’est supprimer la profondeur et créer une régression à l’infini.
Enfin, on pourrait dire plus simplement que, sous son chapeau et sa redingote, l’homme est un être rempli de nuages.
La conversation
Delvaux, 1944, Collection privée
Au XXème siècle, le thème de la Jeune Fille et la Mort s’enrichit de nouvelles possibilités. On sait que le squelette vu en radiographie n’est autre que l’ombre du corps. Si la lampe de gauche est à la fois aux rayons X et au pétrole, alors elle projette la femme sur le squelette, et le squelette sur le mur.
Le double rideau vert accentue l’effet de « pendant », entre la jeune fille mélancolique et son double anatomique.
Michael Reedy utilise également la visualisation médicale, pour juxtaposer une femme nue, entourée de formes biologiques aux couleurs chaudes, et sa propre forme rendue transparente et multicolore , entourée de structures moléculaires et cristallines.
Couple anatomique,
Michael Reedy
Ici, le pendant féminin/masculin se combine avec les nombreuses oppositions que génèrent les zones disséquées : caché/voilé, uni/coloré, uniforme/multiforme, esthétique/organique, synthétique/analytique…