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Dans un autre de mes billets j'évoquais René Branchu, celui de mes ancêtres qui fut retrouvé mort et détroussé au creux d'un chemin. C'était un soir de 1879.
En 1892 Jules Guyot était mort depuis 20 ans.
Je ne sais si, avec sa plume, Jules écrivait aussi bien que Delphin.
Ce qui est sûr c'est qu'il a beaucoup écrit, dont l'inattendu "Bréviaire de l'amour expérimental" : un recueil pas piqué des hannetons (et pas facile à dénicher dans son édition originale, même si le tirage a été considérable) ... mais heureusement récemment réédité dans la "Petite Bibliothèque Payot".
Jules Guyot écrivait beaucoup, essentiellement sur la vigne et le vin.
Il faut dire que, sous Napoleon III, il fut chargé d'un gros travail d'étude et de réflexion sur le vignoble de France (dans le même temps Louis Pasteur avait, quant à lui, à étudier les maladies des vins de France afin d'en trouver les causes et les remèdes).
Chaptal (1802) par Philippe-Laurent Roland
(Musée des Augustins - Toulouse)
Pour s'en persuader on pourra, chez les bouquinistes un peu achalandés, trouver assez souvent tel ou tel ouvrage de l'un ou l'autre de ces trois auteurs.
Ces bouquins, j'ai le plaisir d'en posséder quelques uns dans ma collection de vieilleries dédiées à la vigne et au vin.
Il y a en particulier l'étude que Guyot fit sur les vignobles du Sud Ouest ... dont Bordeaux, dont le Médoc.
Et je ne pense bien sûr pas qu'aux chantres d'un bon vieux temps largement fantasmé.
Entre autre sujets, le grand Jules y aborde les questions de la production et de la qualité des vins selon le terroir, sans oublier les dimensions humaine et économique :
"En effet les propriétaires de la Gironde savent parfaitement tirer de leurs palus et de leurs terres fortes 20 barriques à l'hectare en moyenne ; 30 barriques et 10 aux extrêmes. Qui oserait et qui pourrait réaliser plus et mieux ?A propos de la densité de plantation (son lien au sol ... et au volume produit) et du choix du mode de conduite, il précise sa pensée :
Si, dans les grands crus des graves et du haut Médoc, la moyenne production est réduite de 6 à 12 barriques, le vin y est, en compensation, d'une telle qualité, et la consommation en offre un tel prix, que les produits des grands crus sont de deux à quatre fois plus rémunérateurs que ceux des palus et des fortes terres. Qui serait donc assez téméraire pour compromettre cette richesse acquise et certaine en conseillant des procédés différents de ceux qui la créent aujourd'hui ? Quel serait l'objet de ces conseils ? L'abondance fait baisser les prix. L'économie de la main d’œuvre ? Mais la population est le facteur le plus important de la richesse locale ; c'est elle qui produit et qui prouve cette richesse, et sans dépense de main d’œuvre, il n'y a pas de population."
"Il y a toujours 9 000 ceps par hectare en Médoc ; il n'y en a que 8 000 dans les graves et même 7 500 à Sauternes, tandis qu'il n'y en a que 4 000 dans le Lot et l'Hérault, 5 à 6 000 dans le Gers, la Haute-Garonne, le Lot-et-Garonne, 7 000 dans les Chalosses des Landes, 30 000 dans les sables de Cap-Breton et des dunes suivantes ; 11 à 12 000 dans les sables de la Teste, de Gujan et de Mestras ; par contre, dans les terres fortes et les palus de la Gironde, on ne compte que 4 000, 3 500 et 2 500 ceps à l'hectare, suivant le mode de culture adopté. La loi de la bonne production de la vigne basse près de la terre est en effet que les ceps soient d'autant plus rapprochés que le sol est plus maigre. Le département de la Gironde a parfaitement proportionné la distance de ses ceps à la fertilité de son sol. Si les règes du Médoc étaient à 1 mèt. 50 cent., ou à 2 mèt. de distance, il y aurait un tiers ou moitié moins de récolte, voilà tout."
.../...
"Les distances du haut Médoc sont un point de départ et un modèle pour tous les pays ; son palissage s'approche également de la perfection ; son seul défaut, à mes yeux, c'est d'avoir en moins ce que les graves et les côtes ont en trop ; il lui faudrait le double ou le triple de hauteur dans ses carassons de souches. Le haut Médoc n'a rien qui puisse conduire et attacher des pousses verticales (voir les figures 78 et 79), et les graves et les côtes n'ont rien qui puisse conduire et attacher les pousses horizontales. (Voir les figures 80 et 81, et les figures 82, 83 et 84)"
.../...
"Je suis bien convaincu que le haut Médoc, qui a su établir un palissage si excellent à ses vignes distribuées et disposées dans la perfection, n'aurait pas manqué de donner 1 mèt. 20 cent. mais non 2 et 3 mètres comme dans les graves, tout en conservant son petit carasson intermédiaire, si son énorme charrue à double tête de trait et joug passant au dessus des lignes de vignes ne lui avait rendu cette disposition impossible. Mais cette gigantesque et horrible charrue, traînée par deux bœufs gros comme des éléphants, a fait son temps ; elle sera bientôt remplacée par la houe à un seul bœuf ou à un seul cheval de M. Portal de Moux, ou par des charrues bineuse, analogues à celle proposée, en 1852, par M Goëthals, à la Société d'agriculture de Bordeaux (qui lui a décerné pour cette invention une médaille d'argent grand module), et à celle de M. Scawinski, de Giscours, faite récemment au même point de vue de cultiver toute une vigne médocaine d'un seul trait. L'obstacle ainsi enlevé, l'échalas de souche ne tardera pas à prendre la hauteur voulue."
Il s'intéresse bien sur aux cépages qu'il a rencontrés :
"Les cépages du Médoc sont, avant tous et le premier le cabernet-sauvignon ; il est appelé sauvignon, parce qu'il ressemble tellement au sauvignon blanc par la feuille et par le bois, qu'il faudrait presque attendre la coloration du raisin pour les distinguer. C'est le cépage le plus fertile, le meilleur, le moins gélif, de tous les fins noirs de la Gironde. Il débourre le dernier et mûrit le premier ; il est très régulier dans sa pousse. La carménère est très hâtive à végéter. J'ai vu à Ludon une vigne de carménère dont les pousses avaient déjà un décimètre de long, et tout à côté une vigne de cabernet-sauvignon qui ne donnait pas encore de signe de végétation. La carménère est peu fertile ; elle donne 6 barriques à l'hectare, là où le cabernet-sauvignon en donnerait 12. Le franc-cabernet, le verdot, le merlot et le malbec avec le cruchinet, complètent à peu près l'ensemble des cépages du Médoc."Sur la vinification médocaine :
"Dans le Médoc et les graves, on égrappe toujours ; l'égrappage est moins général à Saint-Emilion. On foule généralement avant de mettre à la cuve, et on ne laisse pas fermenter plus de huit jours. Quatre et cinq jours sont jugés suffisants pour les vins les plus fins du Médoc ; dans les palus, on cuve de huit à quinze jours. On tire en barriques neuves ou fraîches vides bon goût de 228 litres, sans jamais s'occuper de la clarification des vins à la cuve ; on remplit avec soin et l'on conserve en chais à température fraîche et fixe. Nulle part on ne fait mieux les vins rouges, et par des moyens plus simples et plus naturels, que dans la Gironde ; on les traite exactement de même dans la haute Bourgogne et dans le Beaujolais, sauf quelques détails, tels que l'égrappage et le foulage ; mais le point capital, c'est la cuvaison qui ne dure que juste le temps de la grosse fermentation, quatre à huit jours, suivant l'année. Un autre point important, c'est qu'on met simplement en cuve ouverte, c'est qu'on tire et qu'on met en tonneau sans prétendre donner au vin le temps de s'éclaircir au risque de macérer ; c'est qu'on tire en petits fûts neufs ou frais vides, c'est qu'on conserve en lieu frais, se contentant de remplir au fur et à mesure que le vide se fait."Il évoque également les maladies de la vigne et le choix de la stratégie de lutte :
"Je ne terminerai pas ce sommaire sans parler de l'oïdium, dont les effets, énergiquement combattus, presque dès son origine, dans la Gironde, par les hommes les plus intelligents et les plus intéressés du monde à défendre la vigne, semblent devenir de moins en moins redoutables sous les efforts réunis de deux partis pourtant opposés d'opinions. Les uns pensent qu'il faut soufrer la vigne préventivement à la toute première apparition du terrible champignon ; les autres pensent qu'il ne faut lancer le soufre que contre l'ennemi présent et déclaré."Au travers du discours de Jules, se pose la question de ce qu'étaient les "vins fins" qu'il évoque en général, et dans le Médoc en particulier.
Les extraits qui précèdent le suggèrent : sans doute étaient ils significativement différents de ceux que nous connaissons et apprécions aujourd'hui ?
Ce questionnement, je ne suis évidemment pas en mesure d'y répondre. Il y a quelques années j'ai pourtant goûté un grand du Médoc qui remontait à 1871 ... un contemporain de Guyot. Mais ce n'était plus qu'un souvenir de vin dont il ne restait que le squelette décharné.
Alors renoncer ?
Oui.
Sauf à trouver de très vieilles vignes, en haut Médoc, avec une densité de plantation et un mode de conduite se rapprochant de ceux que Guyot décrit et recommande.
Or il se trouve que ces vignes existent.
Ces pieds (surtout Merlot mais pas que) sont contemporains de Jules Guyot puisque certains ont été plantés en 1850 (ils sont donc préphylloxériques et francs de pied) et que les manquants (pas plus de 15%) ont depuis été provignés.
C'est chez les Dief, au Clos Manou, dont j'ai déjà évoqué le Manou 1850.
Il y a une autre option, toujours chez eux : le Château Cantegric.
Cantegric, c'est l'autre vin de Françoise et Stéphane Dief.
Il est issu d'une petite propriété (4 ha) acquise en 2009.
De très vieilles vignes (âgées de 50 à 160 ans), plantées à 10000 pieds / hectare (et non pas à 9000 comme Guyot le suggère) et menées avec le soin habituel des Dief.
Lors d'un récent repas, à la fin du dit repas, j'en ai ouvert une bouteille sur l'envie du moment, l'envie du partage et de la découverte partagée.
Ce genre d'envie qui arrive parfois à ce moment là. Surtout quand la soirée a été si plaisante.
80% Merlot - 18% Cabernet sauvignon - 2% Cabernet franc
C'est mûr, expressif, ouvert. Bouche dense, aux tanins de qualité, délicats. Vin harmonieux, au très bel équilibre et doté d'une longue finale.
Pour cette soirée, pour ce repas, il y avait, bien sûr, quelques autres quilles (dont deux amenées par mes invités du soir, deux vins que j'ai donc goûtés à l'aveugle), tout au long du repas.
Les voici dans leur ordre d'apparition :
65% Pinot noir - 30% Chardonnay - 5% Pinot meunier
Très beau vin. Oui : très beau vin, car c'est très vineux ce Champagne. Puis droit comme un "I".
Très belle aromatique, au nez comme en bouche.
J'aime décidément beaucoup !
55% Sauvignon gris - 45% Sauvignon blanc
Joli Sauvignon qui tire surtout vers la passion, nettement moins vers le buis. Ça tombe bien : c'est comme çà que je les aime ! Du gras, de la maturité et malgré cela une belle fraîcheur. Équilibré, charmeur. Beau vin (goûté à l'aveugle).
Chardonnay
Dégusté à l'aveugle. Spontanément, je ne l'ai mis ni en Chardonnay ni en Arbois. Il n'empêche que c'est un joli vin tant par son aromatique (fruit à noyau, floral). Beau volume, de l'équilibre et une agréable finale ... une autre belle quille.
Syrah
J'ai carafé ce vin près de 4 h avant de le servir, ce qui n'a pas suffi à totalement éliminer la réduction.
Mais c'est surtout qu'il y a uneforte présence d'acétate d'éthyle, et gros soupçon sur la finale.
A ce niveau, le vin n'est plus défendable.
Syrah majoritaire
J'aime toujours autant.
Quelques jours avant j'avais bu la même sur 2 jours avec, le lendemain, un vin qui partait vers le fruit noir mûr et presque confituré et un côté tapenade.
Du coup il parti en carafe lui aussi pour près de 4 heures, et faisait partie du duo de Syrah prévues pour accompagner mon lapin à la tapenade (avec une cuisson leeeeeeeeeeeente).
Tant la qualité aromatique que l'équilibre entre maturité et fraîcheur sont remarquables. Superbe 2009 (dont il me reste - déjà - trop peu).
[note pour moi même : penser à faire le compte rendu de ma récente visite au Château]
puis, donc, est venu le temps du Cantegric.
Le Pumpet est un harmonieux mélange (sans doute à parts égales) de suif et de graisse de canard.
J'ai cru comprendre qu'il y avait aussi du zeste de citron, m'enfin les fruits exotiques faut pas en abuser.
Pour des commentaires précis et dignes de ce nom (dignes de ces vins) on pourra, on devra, aller visiter le blog de Daniel Sériot et le billet qui traite de cette soirée.