Eric Pesty éditeur publie La Comédie des noms d'Emmanuel Fournier.
Giudecca Palanca - Redentore - Zitelle -
San Zaccaria (Jolanda)-
Les noms et les concepts, instruments au service d'un besoin : moins un besoin de connaissance qu'un besoin d'identification, en vue de prévisions et de manipulations. Quelle connaissance en effet par les noms (hormis les considérations d'identité d'ordre policier) ? Une certaine compréhension des sentiments et des émotions, une intelligence indéniable des " choses ", tout à coup aptes à quelque intrigue. Un discernement authentique, indissociable de l'acte de dénomination, mais juste suffisant pour nos manœuvres.
Les noms et les nombres, comme outils de domination efficaces (du monde, des autres ou de soi-même), mais au prix d'une violence sur la réalité. Par supposition de l'existence de choses identifiables (dans l'usage même du nom et du nombre). Par réduction du divers à l'identique, du nouveau au déjà vu, de toute qualité à de l'égalité (Nietzsche encore). Par soumission à l'équivalence et au quantifiable. Par affaiblissement du devenir et du mouvement dans l'immobile. Par enfermement du réel dans des catégories. Par nivellement et par désespérance.
Quelle vérité ? Où donc une objectivité neutre ? Où une identité dans la mobilité universelle ? Où cela des choses ? Où des catégories de la substance et de la pensée ? Où des substrats et où une demeure ? Où une identité des choses à elles-mêmes derrière les changements ? Où, sinon dans nos rêves fantasques.
Rejet de l'originalité, imposition d'une vision commune, banale et rassurante du réel, en vue d'une possibilité de manipulation, en fonction de nos intérêts. Acquisition non d'une connaissance absolue des choses, mais d'une puissance sur les forces naturelles, d'une possibilité de domination, etc. Mais à quel prix ? Quelle place pour la qualité et le mouvement au bout de la réduction ? Des sortes de miracles ? Bons seulement pour l'élimination ? À la poubelle les couleurs et les sons ! Seules les longueurs d'onde et les fréquences ! Au rebut l'âme et l'esprit, et peut-être même la pensée (au risque de contradiction) ! Seuls les " états mentaux " observables et les images d'aires cérébrales ! Pas de regard en arrière, pas d'encombrantes vieilleries, pas de juxtaposition des anciennes et des nouvelles visions !
Désert et appauvrissement ! Seul soi, nous seuls, avec nos noms, nos chiffres, nos nombres et une législation de la raison valable universellement pour nous tous... Et quelle issue ? Refuge dans l'hyperspécialisation aveugle ou dans une histoire des idées, érudite mais loin de la vie urgente, et retrait dans un scepticisme stérile et sans danger ?
Emmanuel Fournier, La Comédie des noms, Eric Pesty éditeur, 2016, 40 p., 9€, p.18.
Intéressante et très complète fiche sur Emmanuel Fournier dans Wikipédia : " Emmanuel Fournier s'oriente en 1975 vers l'étude de la philosophie (université Paris I, EHESS, traductions) et du dessin (ateliers de la Ville de Paris, académie de la Grande Chaumière, transcriptions). Il suit des formations complémentaires en médecine " pour se plonger autrement dans les questions du corps et de l'humain " (faculté de médecine Pitié-Salpêtrière), mais aussi en mathématiques, électronique, informatique et neurosciences (université Paris VI - Pierre et Marie Curie), afin de tenter de comprendre en particulier les relations de la pensée à la matière et au cerveau. (...)
Il est l'inventeur de la méthode infinitive, une façon "non finie" de réfléchir et de penser qui s'appuie sur une langue dépouillée, toute en verbes, sans substantifs. Il l'utilise avec ironie et poésie pour déjouer les préjugés, les stéréotypes et les dogmatismes inscrits dans les modes de pensée et d'expression ordinaires et savants. La méthode infinitive et les méthodes développées de front en philosophie et en dessin visent à alléger les différentes entraves de la pensée et à dégager des possibilités plus ouvertes, plus actives, d'être, de faire et de vivre. "
Prière d'insérer de l'éditeur : " Dans La Comédie des noms, comme le titre de ce livre le suggère, l'auteur s'enjoint d'explorer tout de même le domaine des substantifs pour que cette catégorie grammaticale, suspendue jusqu'ici de l'écriture, ne restât pas non plus un impensé. C'est donc dans une langue nominale, qui fait abstraction résolument de tout verbe, et là encore parfaitement grammaticale, que La Comédie des noms se déploie, comme un antipode du projet général de l'auteur, ou encore : un gant retourné. "