Nous constatons aujourd’hui que les victoires que nous avons crues définitives sont remises en cause par l’évolution des circuits de la puissance. Nous avons bâti sur le sable, et les fondations se dérobent. Les grands mots d’hier - démocratie, liberté… - rendent un son creux. Les nomades de la modernité que nous sommes, fatigués du mouvement incessant que depuis deux siècles le progrès nous impose, aspirent à un peu de repos. C’est en ce sens que la révolution à accomplir est d’ordre spirituel. Les débats de l’avenir porteront sur le rapport de l’homme au monde : ils seront des débats éthiques, et c’est par eux qu’un jour, peut-être, renaîtra la politique, dans un processus qui partira du bas, de la démocratie locale et de la définition qu’une communauté donnera d’elle-même, pour aller vers le haut. Le processus sera le même qu’il s’agisse des parties du monde où la démocratie ne s’est jamais imposée ou de celles où elle arrive à épuisement. La solidarité qui doit permettre de dépasser le repli communautaire ne sera donc pas, au départ, « politique », elle trouvera son fondement dans le sentiment d’une commune responsabilité devant un monde dont les limites doivent borner l’ambition des hommes.
Jean-Marie Guéhenno, "La fin de la démocratie", Ed. Flammarion, Paris, 1995.