Un romancier d’avenir

Par Jlk


Romain Gary à redécouvrir…
Ce serait l’histoire d’un homme fou de la vie et ne la supportant pas telle qu'elle est, qui aurait voulu ne mourir jamais et qui se suicida d’un coup de revolver. Ce serait l’histoire d’un homme venu de nulle part, dont l’enfance baigna dans la culture d’un peuple exterminé pendant qu’il combattait lui-même l’Ange des ténèbres, et qui vécut plusieurs vies en une pour en tirer des fables à n’en plus finir.
Tel était Romain Kacew, devenu Gary, puis Emile Ajar : Protée écrivain du XXe siècle réinventant des mythes  dans une langue accessible à tous, intervenant à égale distance de la gauche et de la droite mais engagé dans l’absolu de son œuvre : interrogeant le mal dans l’homme, le sens de la vie et ce qu’elle deviendrait sans un grand changement en chacun. Naïf apparemment aux yeux des beaux esprits, jamais dupe des modes intellectuelles, Romain Gary poursuivait une méditation incarnée sur l’humanité du XXe siècle, avec la Shoah et les retombées de la guerre nucléaire pour horizon.
Son premier livre, Education européenne, illustrait la Résistance, à la fois polonaise et universelle, et une nouvelle culture à réiventer. Par la suite, à l’image d’un Hemingway européen, pas loin non plus d’un Malraux, ce grand vivant de la race des conquérants bâtit une œuvre pétrie de sang et d’émotion, à l’écart de ce qu’on a dit la modernité, dans la masse et l’énergie d’une saga picaresque. Hélas, ce dont les « élites » intellectuelle ne se sont pas assez avisées de son vivant, le blessant profondément, c’est que Romain Gary était aussi un visionnaire et, dans sa vie autant que dans son œuvre, un médium du drame vécu par l’homme du XXe siècle, entre nihilisme et convictions nouvelles.  
La contradiction incarnée
Or voici que, 25 ans après le suicide de Romain Gary, de multiples signes témoignent de sa survie et plus encore : du regain de signification de son œuvre, autant que de celle d’Emile Ajar, son complément réduit, à l’époque, à une péripétie médiatique, alors qu’il représente un double essentiel, symbole vivant des contradictions vécues par l’écrivain, ainsi qu’en témoigne le génial Pseudo aussi mal compris du public que de la critique…
Pour redécouvrir Romain Gary et Emile Ajar, un très éclairant Cahier de L’Herne vient de paraître, rassemblant des études (notamment de Paul Audi, François Bondy, Nancy Huston ou Pierre-Emmanuel Dauzat), quantité de témoignages (l’affaire Ajar racontée par Michel Cournot) et nombre de textes de Gary lui-même et autres entretiens. Parallèlement paraissent les articles et essais de Gary, sous le beau titre de L’Affaire homme, et un recueil de nouvelles dont la première qu’il a publiée, sous le titre de L’orage.  
Dans le dernier roman d’Emile Ajar, L’angoisse du roi Salomon, Romain Gary nous envoya l’un de ses messagers les plus tonifiants, merveilleux vieillard s’acharnant à compenser le mal commis au su et au vu d’un Dieu apparemment indifférent. Le thème du messianisme est en effet central chez Gary, impliquant ce qu’il disait « la fin de l’impossible » : non pas l’utopie mais l’avènement d’un homme plus humain. Or, s’il n’a pas survécu lui-même à ce vœu, son œuvre demeure, à lire et relire pour changer l’avenir…


Romain Gary. Cahier de L’Herne, 362p.
L’orage, nouvelles, L’Herne, 215p.
L’affaire Homme, Folio, 354p.

Sur Romain Gary:

Paul Audi, La fin de l’impossible. Bourgois, 120p.
Philosophe au langage accessible, Paul Audi rend ici un hommage très personnel à Romain Gary, en lequel il voit le garant créatif d’une nouvelle forme de liberté. 

Fabrice Larat, Un itinéraire européen. Georg, 187p.

Humaniste anti-nationaliste, Romain Gary impressionna Denis de Rougemont  avec son Education européenne. Ce livre éclaire sa conception non conventionnelle d’une Europe des cultures.