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Le réel absolu

Par Jlk
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En lisant Christiane Singer et Annie Dillard
Je relis ces jours deux livres en alternance, ou disons plutôt que je les relis à tout moment, qui me font office, plus que de béquilles: de tapis volants. Ce sont les constats présents et joyeusement éternels d’une femme en train de mourir et d’une autre femme non moins attentive au plus vif de la vie.
«Qui eût pu soupçonner qu’au cœur d’une aussi difficile épreuve se soit lovée la merveille des merveilles ? » se demandait Christiane Singer en janvier dernier, à un mois de sa mort, toute faible et ravagée, mais de plus en plus légère et rayonnante. A ses mots font écho ceux d’Annie Dillard qui évoque, au début d’Au Présent, le scandale énigmatique des enfants malformés, nains à tête d’oiseau et autres gosses à branchies de requins, pour constater : « Certes le monde est toujours aussi sublime, aussi exaltant, mais pour plus de crédibilité il faut bien commencer par les mauvaises nouvelles ».
Il y a, chez Christiane Singer et chez Annie Dillard, un même mélange de porosité que je dirai christique, en cela qu’elles semblent accueillir toutes l’humanité dans leur observation, d’hypersensibilité délicate et de force, de force terrible, de formidable potentiel de joie. Est-ce par exaltation frisant l’hystérie morbide que Christiane Singer, sur son lit de mort, écrit d’un dernier bout de crayon «me croira-t-on si je dis que je n’ai jamais été plus heureuse que maintenant ?». Tout au contraire elle l’écrit les yeux ouverts sur la putain de maladie et la putain de mort, qu’elle accueille en fondant sa vie dans La Vie. De la même façon, c’est de toute son âme que Dillard interroge La Vie qui produit à la fois la merveille et le monstre, continuant de croire au sens de tout ça en scrutant les tempêtes sur le désert de Gobi, le Mal courant d'une génération à l'autre, les formations nuageuses, la vie en Israël, la pensée des Hassidim, les paradoxes apparemment insensés qu’on est prié de considérer comme allant de soi.
Rien de va de soi quand on est à l’article de la mort ou sur la crête métaphysique de la vie, mais ne prenons pas pour de la résignation passive ces mots lumineux de Christiane Singer : « Ce lieu où tout cela advient m’apparaît si précieux que je dois en prendre passionnément soin. C’est le jardin où Dieu se promène chaque matin. »
Dieu ne va pas bien ce matin, nous souffle Anne Dillard, ça a beau être dimanche, ça ne s’arrange pas dans le monde est c’est ça qu’il faut réparer nom de Dieu. « La divinité frêle est un Rien, un SUR RIEN », disait Angelus Silesius, et Christiane la mourante : « Je ne mange ni ne bois, je me sens cherchée ». Et cela aussi qui peut servir : « Je vous le jure. Quand il n’y a plus rien, il n’y a que l’Amour. Il n’y a plus que l’Amour. Tous les barrages craquent. C’est la noyade, l’immersion. L’amour n’est pas un sentiment. C’est la substance même de la création ». Et cela pour finir : « Je croyais jusqu’alors que l’amour était reliance, qu’il nous reliait les uns aux autres. Mais cela va beaucoup plus loin ! Nous n’avons même pas à être reliés : nous sommes à l’intérieur les uns des autres. C’est cela le mystère. C’est cela le plus grand vertige. Au fond je viens seulement vous apporter cette bonne nouvelle : de l’autre côté du pire t’attend l’Amour. Il n’y a en vérité rien à craindre. Oui c’est la bonne nouvelle que je vous apporte »…
Christiane Singer. Derniers fragments d’un long voyage. Albin Michel, 2007.
Annie Dillard. Au présent. Bourgois, 2001.

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