En 2012, suite à un décret qui avait déclenché quelques sueurs froides chez les intéressés, sont divulgués les montants des aides publiques aux médias de la presse écrite, titre par titre. Bien évidemment, dès cette parution, les organes concernés n’ont eu de cesse de cacher l’information et de combattre sa publication, la liberté d’information étant un droit inaltérable en France, certes, mais faut pas pousser.
Le lobbying des uns et les cris d’orfraie des autres ont fini par porter leurs fruits puisque la divulgation de ces mêmes chiffres au titre de l’année 2016 a été copieusement caviardée amendée pour que le flou le plus total règne à nouveau sur les prébendes, facilités et autre fiscalité arrangeante qui sont octroyées aux journaux, journalistes et folliculaires divers et variés qui rendent un si précieux service à la vérité, à la démocratie française et (surtout) au système politique français que le monde nous envie moyennement (mais partage aussi, disons-le tout net).
Le résultat publié ici est donc, sans surprise, un champ de mines statistiques où rien ne peut vraiment être comparé aux situations antérieures tant tel ou tel montant n’est pas pris en compte ou pas de la même façon. L’idée générale consiste à camoufler le diamètre pourtant conséquent du tuyau allant directement des caisses du Trésor Public aux différents organes de presse ; force est de constater que cette idée fonctionne, et ce d’autant plus que personne ou presque n’a finalement parlé de ces aides. La presse ne parle pas des ronds qu’elle touche pour faire le magnifique travail qu’on peut observer tous les jours, comme c’est étonnant !
Quand on épluche les chiffres des années passées (cantonnés aux 200 titres de presse les plus aidés), la Cour des Comptes trouvait 306 millions d’euros en 2012 dont 69 millions d’aides directes. En 2013, il s’agissait de 288 millions pour 66 d’aides directes. En 2014, la somme diminuait encore à 226 millions dont 61 d’aides directes. En 2015, finalement, tous les titres sont à présent évalués, mais, pour « apaiser les débats » (dixit Audrey Azoulay, la Ministre de la Culture), il aura été choisi de ne surtout pas intégrer l’aide postale.
Ce choix n’est pas neutre du tout : au prétexte de se concentrer sur les seules aides à la presse et donc de ne pas compter l’aide postale à cette dernière qui va, finalement, dans l’escarcelle de l’opérateur postal, le ministère efface donc 130 millions d’euros de ses petits tableaux, soit 63% des 207 millions d’euros d’aides individuelles, pour ne plus laisser « que » les 77 millions d’euros restants.
Commode.
Commode, parce qu’ainsi, l’aide postale peut bien doubler discrètement, personne n’en saura rien. Après tout, ce n’est pas cher puisque ce n’est pas du tout le lecteur ou l’abonné qui paye, mais l’État, c’est-à-dire tout le monde.
Commode, parce que rapporté au numéro, il n’est plus du tout aisé de savoir ce que le lecteur d’un média comme Le Monde – par exemple – paye effectivement, comparé avec ce qui est payé par tout le monde, lecteur, abonné ou non et simple contribuable qui ne lit jamais la publication en question. Le contribuable a le droit de savoir qu’il paye plusieurs millions d’euros à l’Humanité, mais pas comment, et ce, qu’il soit fervent communiste ou un parfait opposant à cette épave journalistique en faillite depuis des lustres.
Commode enfin, parce qu’un journal qui ne bénéficierait « que » de cette aide postale disparaît alors complètement du tableau récapitulatif. Certes, cela ne concernera pas les grands médias nationaux qui continuent de téter goulûment de la subvention publique, aussi bien du côté postal qu’ailleurs, mais il n’empêche qu’on a encore là la preuve d’une petite bidouille pour cacher une triste réalité.
En somme, depuis la discrétion de violette avec laquelle aura été accueillie la publication des chiffres d’aides à la presse cette année, jusqu’au nouveau mode de calcul de la répartition de ces aides, tout est fait pour que les Français oublient aussi vite que possible qu’ils payent pour l’indigente presse qui les abreuve actuellement : il n’est qu’à regarder la constance qui touche presque à l’obsession avec laquelle les folliculaires de tous les journaux sont actuellement obnubilés par des sujets d’ampleur microscopique alors que les problèmes de crise économique, de crise monétaire, d’une Europe qui se délite et, par dessus-tout, d’un chômage explosif sont autant de sujets qui devraient occuper la première page, bien, bien avant les déclarations fumeuses de Macron, les péripéties financières de Marine Le Pen ou les déboires d’une banalité malheureusement routinière du clan Fillon avec la moralité républicaine.
Mieux : tout est aussi fait pour faire oublier aux Français qu’on ne leur donne absolument pas le choix de leur presse : même lorsqu’ils arrêtent de lire une feuille de chou, l’État intervient coûte que coûte pour la maintenir en vie à coups de millions, ce qui explique la présence beaucoup trop prolongée des naufrages bobos comme Libération par exemple.
Et lorsque la ministre, sur sa lancée, annonce que le soutien de l’État à la presse allait encore augmenter « de 5 M€ pour un montant total de 261,9 millions d’euros s’agissant des aides directes », personne ou presque n’y a fait écho, et – surprenant ! – personne ne semble s’en offusquer, au contraire, de même que personne ne trouve anormal qu’on renforce encore les aides du Fonds stratégique pour le développement de la presse, ou qu’on étende encore « l’aide au pluralisme », cette blague pas drôle qui permet précisément de lutter contre ce dernier au point que tous les journaux français produisent maintenant les mêmes articles en variation sur thème de l’AFP.
Ce dernier dimanche, en rappelant un article paru il y a un an, je notais la sortie toute fraîche du rapport Edelman sur la confiance du public dans les ONG, les politiciens, les médias et les entreprises en remarquant que le résultat était fort cruel pour la France : sans surprise, elle continue de s’éroder à grande vitesse, et notamment pour les médias. A contrario, on ne pourra que noter le regain de confiance enregistré pour les médias « en ligne », ceux qui ne bénéficient que rarement de ces subventions.
Or, sans l’ombre d’un doute, l’un des effets délétères les plus évidents des subventions qui sont octroyées aux médias est de les mettre complètement à l’abri du marché et, par voie de conséquence, de leur lectorat potentiel. Coupés du lien avec leur base la plus large, ces mêmes médias ne peuvent plus comprendre le divorce maintenant achevé avec elle, et qui les conduit inexorablement à leur perte. Leur récente tentative de désigner ce qui est un vrai journal et ce qui n’en est pas (et distribue sans honte de la « fake news » comme des cacahuètes à l’apéritif) en est un exemple aussi frappant que comique : sentant nettement leur perte d’influence, ils tentent par un mécanisme classique de retrouver leur légitimité en désignant les méchants et les affreux, sans amender leur façon de procéder d’une quelconque façon.
Jusqu’à présent, la propagande plus ou moins fine que ces médias distillent n’a pas eu l’effet escompté, au contraire. On peut donc légitimement douter qu’il en ira autrement pour leurs différentes initiatives (comme celle-ci, par exemple) pour redorer leur blason.
En revanche, rassurez-vous : les subventions (i.e. vos sous) continueront à tomber.