Aujourd’hui j’ai appris que l’inventeur du « Mois du blanc » était Aristide Boucicaut, fondateur du magasin du Bon Marché à Paris. Comme d’autres grandes enseignes parisiennes, le Bon Marché a ouvert ses espaces à l’art contemporain : en hommage au mois du Blanc l’artiste Chiharu Shiota s’est vue offrir des volumes considérables pour déployer son œuvre. Elle emploie pour la première fois le fil blanc pour une de ses installations. L’artiste évoque la pureté d’un nouveau départ, sans préciser d’itinéraire : « La vie est un voyage sans destination ». Et c’est au cœur de l’espace commerçant du magasin que cette intervention bouscule les perspectives.
Il y a deux ans, alors qu’elle venait d’être choisie pour représenter le Japon à la 56 ème biennale de Venise, Chiharu Shiota développait à la galerie Daniel Templon sa stratégie de l’araignée en expliquant : « La création de fils est le reflet de mes propres sentiments. Un fil peut être remplacé par le sentiment. Si je tisse quelque chose et qu’il se révèle être laid, tordu ou noué, tels doivent avoir été mes sentiments lorsque je travaillais. ». Le fil rouge, envahissant, signait l’essentiel de son travail. Pour cette carte blanche offerte par le Bon Marché, c’est donc le fil blanc qui participe à cette aventure singulière : générer un corps étrange, étranger même, dans les allées du magasin. Le visiteur qui découvre l’installation achevée ne peut envisager, je crois, qu’un travail parfaitement préparé, maquetté, prévu dans les moindres détails. Pourtant Chiharu Shiota explique que seul le lieu guide son action et qu’une préparation en atelier serait illusoire. De plus ce travail, mis en œuvre avec l’aide d’une équipe d’assistants, est exécuté rapidement. On imagine difficilement la mesure en kilomètres des fils employés. A la fragilité apparente de l’ensemble il faut ajouter son caractère éphémère, la création étant destinée à la destruction à terme.
Les commentaire sur ce travail n’ont pas manqué de souligner le rapport à cette stratégie de l’araignée qui tisse sa toile. Cependant la vue de l’espace pénétrable au sol évoque autre chose : la faussez teigne. Qu’est-ce donc ? Tous les apiculteurs amateurs ou professionnels connaissent bien cet ennemi redoutable qui envahit parfois les ruches, atteint l’intégrité des abeilles et finalement pourrit la vie des insectes. Cette fausse teigne n’est pas une araignée mais un papillon envahisseur dont les cocons d’un blanc éclatant rappellent étrangement les créations de l’artiste japonaise. A la façon de ce papillon destructeur des ruches et qui se développe dans les colonies d’une autre espèce vivante, Chiharu Shiota colonise elle aussi les espaces marchands du Bon Marché pour donner vie à cette création quelque monstrueuse, peut-être incontrôlable, assurément en décalage avec l’univers aseptisé du commerce de luxe qu’elle semble parfois phagocyter.
Arachné
Dans la mythologie gréco-romaine, Arachné, jeune fille excellant dans l’art du tissage et qui s’est pendue pour avoir subi les humiliations d’Athéna, se voit offrir par la déesse une seconde vie mais cette fois-ci en araignée suspendue à son fil, pour qu’elle puisse à nouveau tisser sa toile. Faut-il imaginer Chiharu Shiota renaissant dans cette deuxième vie pour tenter de saisir son engagement obsessionnel dans cette production sans fin?
Car, au-delà du résultat visible pour les clients et les visiteurs du Bon Marché, c’est la performance elle-même qu’il faut envisager, me semble-t-il, pour évaluer la portée de l’œuvre, l’investissement physique et mental dans la réalisation de cet incroyable cocon parasitant l’ordonnancement impeccable d’un magasin de luxe parisien.
Photos de l’auteur
Chiharu Shiota
Where are we going ?
14 janvier au 18 février 2017.
Le Bon Marché
24, rue de Sèvres
75007 Paris