Pendants paysagers : la nature

Publié le 29 janvier 2017 par Albrecht

Ces pendants ont pour but d’élargir le panorama, grâce à deux points de vue qui se complètent.


The Niagara River at the Cataract Horseshoe Falls from below the High Bank

Gustav Grunewald, vers 1832, De Young Museum [1]

Les deux vues constituent un panorama touristique complet des chutes : la première est prise depuis Niagara Falls, on voit au fond la deuxième cataracte en fer à cheval. La seconde vue nous montre celle-ci de plus près, avec le belvédère de la rive gauche.



Mais ce qui intéressait Grünewald, arrivé un an plus tôt de sa Moravie natale, c’est de montrer à travers cette merveille naturelle la toute puissance divine : ainsi les personnages et les constructions humaines apparaissent dans leur petitesse.



En bas des chutes, des débris d’arbres en forme de croix impriment dans le paysage le signe d’un Dieu à la fois destructeur et créateur.


L’été dans les collines (Summer in the Hills)
Jervis McEntee, Septembre 1867, Birmingham Museum of Art

Dans l’état de New York, les Catskill Mountains ont attiré beaucoup d’artistes. In 1867, McEntee y fit un voyage avec son ami, le peintre Sanford Gifford, que l’on voit ici en train de contempler la vallée profonde de Kauterskill Clove.



La première vue est probablement prise depuis une escarpement rocheux nommé Inspiration Point, en direction du Sud Est. Et la seconde dans le sens opposé, en direction du Nord Ouest.

Le pendant crée donc une continuité factice entre deux paysages qui sont en fait diamétralement opposés.


Cyprès au Monte Mario près de Rome Cyprès et couvent de San Miniato près de Florence

T.H. Hotchkiss, 1868, Collection privée

Ce pendant oppose un fleuve et une montagne, une vue en contreplongée et une vue plongeante, avec un éclairage rasant venant de directions opposées. Si on respecte la convention classique d’un seul soleil situé entre les deux tableaux (voir Les pendants architecturaux), il faut placer à gauche la vue du Monte Mario.

Celle-ci est conforme à la topographie : elle est prise en direction du Nord Est, vers les Apennins enneigés. Nous sommes au soleil levant. Dans la boucle du Tibre on reconnait le pont Milvius avec sa tour romaine caractéristique, sous laquelle passent tous les voyageurs venus du Nord.


Le Tibre et la campagne vue depuis le Monte Mario
Salomon Corrodi, 1873

Le paysage, encore campagnard, n’a guère changé depuis l’Antiquité.


La vue de San Miniato est moins précise. L’unique clocheton se trouve à gauche de la façade, auquel cas la vue est prise vers la Sud Ouest, et au soleil levant. Il est possible que Hotchkiss ait divisé en deux arches l’ouverture, pour faire écho aux deux moines, voire même aux arches du pont de l’autre pendant.

En confrontant un paysage romain et un paysage florentin, l’Antiquité et la Renaissance, le pendant nous montre une civilisation qui meurt et qui revit, au pied des cyprès toujours verts.


Feuilles mortes aux Alyscamps (vers Saint Honorat)
Van Gogh, 1888, Rijksmuseum Kröller-Müller, Otterlo Feuilles mortes aux Alyscamps (vers la sortie)
Van Gogh, 1888, Collection privée

« Je crois que tu aimeras les feuilles mortes que j’ai faites; il y a des troncs de peupliers lilas, coupés par le cadre là où les feuilles commencent. Les troncs d’arbres sont alignés comme des piliers le long d’une avenue avec des rangées de vieux tombeaux romains en lilas bleu à droite et à gauche. Puis le sol est couvert d’une épais tapis de feuilles mortes jaune et orange. Et elles sont en train de tomber comme des flocons de neige. Et dans l’avenue, de petites silhouettes d’amoureux. La partie supérieure du tableau est un pré vert clair et pas de ciel, ou presque pas. La seconde toile est la même avenue mais avec un vieil homme et une femme aussi grosse et ronde qu’un ballon. » Lettre à Théo, 6 novembre 1888 [2]

Van Gogh révèle entre les lignes l’arrière plan symbolique de ces deux études : le cadrage étroit permet la métaphore entre les troncs et des colonnes. Ainsi, cette allée antique où l’on défile entre les tombes est elle-même un long tombeau, dans lequel une mort jaune tombe comme une neige.

La lettre ne parle pas d’un pendant, mais souligne une opposition entre les personnages : d’un côté un couple d’amoureux, de l’autre un vieillard et une femme ayant perdu ses charmes. Pour comprendre l’intention de Van Gogh, il faut se rendre aux Alyscamps, cette longue allée qu’il a peinte en enfilade, quelques jours plus tôt.

Les Alyscamps
Van Gogh, 1888, Collection privée.

On voit au fond l’église Saint Honorat, et à gauche le talus qui sépare l’allée du canal de Craponne et des usines situées derrière. C’est sur ce talus que Van Gogh s’est placé pour peindre ses deux vues plongeantes, l’une en direction de la sortie, l’autre dans le sens opposé, en direction de l’église.

La symétrie entre les deux compositions (le talus, huit troncs, deux sarcophages, un couple de passants) souligne leur dimension « photographique » : Van Gogh fixe sur sa toile un couple d’amoureux se dirigeant vers l’église (le mariage), puis un couple de vieillards se dirigeant vers la sortie (le cimetière). De ce point de vue et à cet instant précis, les amoureux passent entre deux bancs (où l’on s’allonge pour se conter fleurette), les vieux entre deux sarcophages (où l’on se couche définitivement).


Cette belle femme qui les suit, dans une robe dont la couleur rouge semble émaner du tapis de feuilles mortes, pourrait bien une image discrète, élégante et citadine de la Mort.

Fenêtre donnant sur les bois (Window overlooking the Woods)
Vuillard, 1899, Chicago Art Institute.

Premiers fruits (First Fruits)
Vuillard, 1899, Norton Simon Museum, Pasadena, Californie

 

Ces deux toiles géantes (4,31 x 2,43 m) ont été réalisées pour décorer la bibliothèque du banquier Adam Natanson, dans le style des tapisseries de « verdure ». Les vues ont été prises depuis la fenêtre d’une villa de L’Etang-la-Ville (chemin de la Coulette), où Vuillard avait passé l’été 1899, avec la famille de sa soeur, Marie Roussel, qui est peut-être la femme arrosant ses géraniums à la fenêtre.

Vu leur taille, les deux panneaux étaient destinés à se faire face, non à être contemplés côte à côte. L’impression  panoramique est donnée par la vue plongeante, côté village et la vue en légère montée, côté jardin. Ainsi, en se retournant, pouvait-on passer de la vue publique à la vue privée ; des bois à l’arbre fruitier ; de la route avec une passante et un cheval, au potager avec la petite fille en rose regardant à gauche un jardinier en canotier et à droite, au bout de l’allée, une femme en fichu bleu.

Références : [1] Haute résolution : https://www.google.com/culturalinstitute/beta/search?q=The%20Niagara%20River%20at%20the%20Cataract [2] Van Gogh in Arles, Vincent van Gogh, Ronald Pickvance, Metropolitan Museum of Art, 1984 – p 200
https://books.google.fr/books?id=lXBwYseY1uYC&pg=PA200&dq=alyscamps++van+gogh&hl=fr&sa=X&ved=0ahUKEwiRrYO00NrQAhVDPRoKHUtDBkIQ6AEIKzAA#v=onepage&q=alyscamps%20%20van%20gogh&f=false