Le besoin de (vraie) gauche est là, probant, réel et concret.
Instinct. «Je vais y aller… voter. Il faut virer Valls du paysage. Bref, je vais faire mon devoir… mais ne me demandez pas, en plus, de montrer de l’enthousiasme!» Il était environ seize heures, dimanche dernier, dans un grand hôpital proche de Paris. La chef d’un des services les plus importants du quatorzième étage enfilait son manteau en maugréant, harassée par les gardes du week-end et passablement énervée par les conditions de travail de ses infirmières en néphrologie. «Tout se dégrade, si vite, répétait-elle. Combien de temps leur faudra-t-il, à tous, pour qu’ils en prennent conscience?» Même pas quarante ans, des énigmes posées sur ses blessures quotidiennes qu’elle affirme «ne jamais parvenir à relativiser», elle réclamait, ce jour-là, «de la raison et de l’intelligence» pour «remettre les socialistes à gauche», eux «qui ont tout oublié en un quinquennat». Dans le vaste couloir, elle épousseta son pardessus d’un geste lent, se retourna: «À vous, je peux le dire, j’ai choisi Hamon, le plus humain des candidats, mais je ne suis pas sûre de voter PS au premier tour dans trois mois.» Pris isolément, le cas de cette toubib ultra-spécialisée peut paraître anodin. Quelque chose dans ses mots, néanmoins, ici et en ce lieu, témoignait comme d’un instinct de survie. Pas seulement d’un ras-le-bol ou d’un geste en l’air qui ne servirait à rien. Non, nous parlons bien là d’un instinct de survie assez fondamental qu’il convient de regarder lucidement pour ce qu’il vaut: celui de celles et ceux pour qui une gauche ferme sur ses valeurs a encore un sens, malgré tout. Oublieux. Donc, la voilà, cette fracture ouverte au Parti socialiste. Doit-on s’en étonner? Les électeurs qui se sont mobilisés ont ainsi donné une majorité claire et nette aux frondeurs ou supposés tels, ceux qui en tout cas ont contesté de plus en plus vigoureusement l’action du gouvernement et de Normal Ier depuis trois ans. Chacun l’aura compris, la seconde place de l’ex-premier sinistre symbolise l’ampleur de cette sanction – à condition qu’elle soit confirmée sinon amplifiée, ce dimanche.
Il assume jusqu’à l’absurde son bilan à Matignon? Il paie la facture et risque de valser pour de bon. Sauf qu’il a au moins raison sur un point: l’heure est à la clarification. Plus martial que jamais, le caporal de la «gauche» libérale a d’ailleurs choisi la marche forcée et le clivage, au soir même du premier tour des primaires. Pour lui, le choix se résume à deux solutions. Soit «une défaite assurée» (Hamon), soit «une victoire possible» (sa personne). Soit «des promesses irréalisables et infinançables», soit «une gauche crédible». Une volonté farouche de creuser le fossé entre les deux camps socialistes qu’il jugeait, il n’y a pas si longtemps que cela, «irréconciliables»… Mardi, un habitué de la rue de Solferino nous confessait sans détour: «Si Valls l’emporte, la gauche radicale se reconstituera autour de Mélenchon et il n’est pas à exclure que des socialistes “vraiment de gauche” quittent le PS en masse. Si Hamon gagne, là aussi tout est possible, y compris que les ministres actuels, dans la foulée de Valls, fuient le PS et se macronisent définitivement… C’est un congrès avant l’heure. Mais un congrès décisif pour l’avenir de la gauche, en tout cas concernant sa structuration dans le temps et son rapport de forces interne. Le PS a peut-être perdu la main…» Dans ce paysage politique sens dessus dessous, quelque peu chamboule-tout, il convient toutefois de retenir une leçon du vote de dimanche dernier: le besoin de (vraie) gauche est là, probant, réel et concret. De nombreux militants socialistes, déboussolés, viennent de se rappeler au bon souvenir des oublieux. Preuve que la gauche de transformation sociale pèse beaucoup plus lourd que certains ne l’imaginent. [BLOC-NOTES publié dans l’Humanité du 26 janvier 2017.]