Les différents visages d'une situation

Publié le 21 juin 2008 par Journaldecharlotte
Vendredi matin, j'ai pris congé pour passer du temps avec Max. Je ne le reverrai sûrement pas avant plusieurs mois et nous n'avions pas eu de temps seuls ensemble depuis 20 ans.
Le sujet Helena et remonté encore. Max cherche des solutions, il cherche à comprendre Helena mais n'y arrive pas. C'est alors qu'une idée m'est montée que je lui ai partagée :
- D'après toi, est-ce qu'Helena t'aime encore ?
- Je suis quasiment sûr à 100% qu'elle aimerait qu'on reprenne ensemble.
- Et toi ? Est-ce que tu l'aimes encore ?
- Je ne sais pas. L'été dernier, je lui ai dit «J't'aime plus». C'était clair pour moi. Quand elle est partie passer l'hiver à Montréal, je me suis sentie libéré. Ça m'a fait un bien fou.

Cela faisait plusieurs fois, à travers nos discussions, que je mentionnais à Max la nécessité de s'exprimer, de parler avec son senti et non en mettant la faute sur l'autre, que ce soit lui ou Helena.

- Tu sais, ai-je continué, hier soir, il a failli se passer quelque chose entre nous quand on s'est couchés.
- Mmmmoui...
- Pourtant, ça a déconnecté vite mais on n'en a, encore une fois, pas parlé.
- Mmmhhh...
- Pour une fois, serais-tu prêt à me dire ce qui s'est passé ?
- Ben....
Max avait de la difficulté à exprimer son ressenti.
- Je me suis rendu compte que... j'avais juste besoin de tendresse, en fait.
- Mmmhhh... et voilà, tu viens de dire les vraies affaires. Je suis contente...
Tu vois, c'est en exprimant ses réels besoins et désirs qu'on devient clairs dans une relation.

Max a souri. Il venait d'exprimer une petite chose, pourtant difficile à dire pour lui, et il en était content. Surtout, il avait été accueilli et non jugé dans son besoin et ça, c'était un risque qu'il avait pris, un danger qu'il venait de braver, et pour lequel il venait d'être reçu.

- Pendant qu'on y est, j'aimerais te demander quelque chose en rapport avec ce que tu m'as écrit mercredi, soit que tu ne veux pas qu'on rembarque dans le même patern qu'on a vécu autrefois. De quel pattern parlais-tu ?
- De ne pas savoir ce que je veux...
Je suis restée surprise. Je m'attendais à ce qu'il parle d'envahissement, de dépendance affective, de rejet - les sujets que je me suis fait tant de fois reprocher par mes ex ! - mais pas de ça !
- Que veux-tu dire ? Tu ne savais pas ce que tu voulais ?
- Oui, c'est ça...
- C'est ce qui explique pourquoi tu partais et revenais ?
- Mmmmhhhh... a-t-il fait en hochant la tête, les yeux baissés.
Donc, c'était lui qui ne savait pas s'il avait envie de rester avec moi ou pas et, à priori, pas moi le problème ! Il n'est jamais trop tard pour comprendre !


- Tu sais, a continué Max, soulagé de s'être exprimé, tu me parles de parler et d'exprimer mes besoins depuis hier et j'ai écrit à Helena avant-hier. Ce matin, j'ai reçu sa réponse : elle me reproche de ne pas parler... !
- Max, je sais ce que tu as vécu petit. Ton père qui tapait sur tes frères, toi qui te cachais pour ne pas recevoir de coups de strap*, qui faisait tout pour être gentil et fin pour ne pas être battu. C'est fini, ce temps-là. Tu n'as plus besoin d'avoir peur qu'on te fasse du mal si tu t'affirmes et t'exprimes...
On s'est souris. Max venait de comprendre qu'il est nécessaire d'apprendre à s'exprimer, à parler avec son coeur, à nommer ses émotions, à toujours parler en commençant une phrase par «Je me sens.... quand tu....» plutôt que de faire des reproches.
- Avec tout ce que tu me dis au sujet d'Helena, ai-je continué, j'ai, malgré tout, l'impression que tu l'aimes encore...

Max a regardé la forêt devant nous, l'air triste. On était assis sur l'escalier de la galerie.

- Avec son attitude et sa colère, je ne la supporte plus, a repris Max.
- Mais tu aimerais comprendre pourquoi elle est ainsi ?
- J'aimerais qu'elle change d'attitude, quelle redevienne comme avant...
- Les gens changent, Max, surtout en 20 ans, deux enfants, une maison, une entreprise...
- Mmmhhhh...
- C'est souvent ce qu'on voit dans les couples. Ils avancent dans la vie mais ne se rendent pas compte qu'ils changent, chacun à sa façon. Ils commencent à se distancer puis à vivre plein d'émotions refoulées, inconsciemment, parce qu'ils ne comprennent pas ce qui se passe, parce qu'ils n'ont jamais vraiment parlé d'eux, de ce qu'ils vivent et ressentent, parce qu'ils ne se partagent plus ce qu'ils vivent, pris dans une routine.
- Mmmhhh....
- En l'occurrence, et te connaissant, ça se peut fort bien qu'Helena arrive à un stade où elle a besoin de retrouver quelque chose qu'elle a l'impression d'avoir perdu, soit toi, surtout que tu dis que vous vous êtes séparés l'an dernier mais qu'elle est revenue pour faire la saison touristique dans votre entreprise. Ça doit être l'enfer à vivre pour chacun de vous. Ça se peut qu'elle soit arrivée à un point où elle aurait besoin de parler, même si elle ne s'en rend pas compte. Que son attitude reflète en fait une souffrance, celle d'une perte, mais qu'elle ne sait pas que c'est ça aussi elle agit à l'envers, soit en te faisant fuir par son attitude plutôt qu'en reconnaissant ses vrais besoins, ses vraies émotions.
- Ça s'peut...
- Quand Helena commence à te «bitcher» et à passer sa colère sur toi, que fais-tu ?
- Je sacre mon camp**. Je déteste me faire traiter ainsi, sans respect. Je ne suis pas son esclave.
- J'aurais une suggestion à te faire. Pas facile du tout mais qui peut te permettre de la retrouver, de vous retrouver...
- Ahhh ?
Max semblait très sceptique.
- Il y a toujours au moins deux façons de voir une situation. J'aimerais te proposer de voir une autre facette de la situation car j'ai l'impression que tu n'en vois qu'une et c'est pour ça que tu n'arrives pas à trouver la solution à ce problème récurrent depuis si longtemps.
- Et c'est quoi, ton autre facette ?
- La prochaine fois qu'elle agit ainsi, essaie de voir sa souffrance à travers son attitude plutôt que l'impression d'être un moins que rien. J'ai de plus en plus l'impression qu'elle crie sa souffrance d'avoir l'impression de t'avoir perdu et non pas qu'elle veut te faire partir loin.
- Mouin... et ?
- Et quand elle pète une crise qui l'amène dans cette attitude que tu détestes, au lieu de partir en courant, tu... la prends dans tes bras. C'est probablement ça dont elle a besoin : sentir que tu es là, que tu l'aimes et non pas que tu ne l'aimes plus et que tu veux t'en aller loin d'elle.
Elle a besoin de sentir ton amour comme toi tu as besoin de sentir le sien.


J'ai tapé dans le mille.
Pour la première fois depuis nos retrouvailles et à travers toutes ces discussions à propos d'Helena, Max a fondu. Le visage subitement tout rouge, il a baissé la tête dans son assiette - on était en train de diner au restaurant - et j'ai vu une énorme tristesse passer. Mal à l'aise, incapable de pleurer et s'en retenant de toutes ses forces, il venait de toucher une émotion profonde... celle de l'amour qui lui manque à lui aussi.
Comme quoi, il y a toujours au moins deux façons de voir une situation difficile.
Je suis allée le raccompagner à l'aéroport et on a continué à parler. Je lui ai souhaité de belles retrouvailles avec Helena, un bel été, beaucoup de clients et de trouver où il va atterrir à l'automne. On s'est serrés fort et il est reparti...
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* strap : ceinture, en l'occurrence

** sacrer son camp, en québécois : foutre le camp, partir vite
mm