Jean-Michel Maulpoix publie L’Hirondelle rouge au Mercure de France.
Parvient-on jamais à habiter le temps comme une maison au fond d’une rue calme, les fenêtres ouvertes sur un petit jardin, les pièces claires, les miroirs profonds, les meubles aimés ? Habite-t-on jamais le temps comme un livre, tout autrement que dévoré de regrets, goûtant sur un banc de bois peint un parfum de lilas dans le jour qui s’achève ? La mort qui vient a piqué des bijoux d’un sou dans sa robe sombre. Voici mon cœur parmi les branches : où sont vos mains très blanches, et nos yeux qui se posaient sur les visages et sur les choses comme des oiseaux légers ?
— Notre histoire s’est effritée comme une statue de plâtre. Et c’est la vie même qui ne tient plus debout, rongée au pied, au cœur, aux lèvres, devenue peu à peu muette sans s’en rendre compte, ayant perdu ses phrases en même temps que ses rêves.
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Où vont-elles, ces ombres silencieuses sur la rivière grise ?
Observant mes semblables, je les vois jusqu’à l’os. Impossible de m’en tenir aux costumes dont ils effacent avec soin les faux plis, non plus qu’à leurs chapeaux mous et aux parapluies sous lesquels il s’abritent. Je ne suis dupe ni de leurs phrases, ni de leurs gestes. La vie humaine ressemble si peu à ce qu’on en raconte. Ses traits sont fatigués, creusés, tombants, cruels, accablés de nuit. Derrière les yeux de celle ou celui qui m’entretient de ses affaires, j’entrevois de vastes régions de tristesse et de désolation. Et sous sa peau le sang qui pleure. Tant de renoncements. Une salive acide dans sa bouche. Mains nerveuses, crispées sur le vide. Je vois la peine et le souci. Je vois la mort.
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Depuis quand ne sommes-nous plus de ce monde-ci ?
Il conviendrait d’imaginer des êtres passant dans l’inconnu la plus grande partie de leur existence. Et qui ne comprendraient plus rien à la langue de leurs semblables. Ou qui croiraient l’entendre parlée par des fantômes. Désarticulée par des crabes et murmurée par des fourmis ! Étrange ménagerie qui s’impatiente au fond des songes ! Mais c’est en plein jour ce charivari ! Il semble que ce soit brisé l’ancien équilibre de l’évidence et de l’énigme. Les choses humaines sont incongrues. Couvertes d’un vernis trompeur qui s’écaille dans l’ennui. Grattez à peine et voici l’os ! Sa moelle obscure. Notre sang de misère. Il s’écoule de ce bois meurtri dont est faite la pensée. Noir, à demi brûlé.
Jean-Michel Maulpoix, L’Hirondelle rouge, Mercure de France, 2017, pp. 49 à 51.
Jean-Michel Maulpoix dans Poezibao :
bio-bibliographie, aux 20 ans du Nouveau Recueil, extrait 1, extrait 2, extrait 3, extrait 4, rencontre au cercle Aliénor (avec Alain Duault), extrait 5, « Jean-Michel Maulpoix, un nouveau lyrisme », par Chantal Colomb Guillaume, note création, ext.6, "Jean-Michel Maulpoix et Paul Celan : le lyrisme après Auschwitz", [notes sur la création], ext. 7, (notes sur la création) Jean-Michel Maulpoix