Dans ce type de pendant, les deux panneaux illustrent les deux temps d’une histoire.
Présentation de la Vierge au Temple
Francesco de Rimini, 1440-50, Louvre, Paris
Dans le retable des Douze scènes de la vie de la Vierge, ces deux panneaux juxtaposés utilisent le même décor pour montrer deux moments successifs, comme dans un dessin animé :
- la fillette en bas de l’escalier, encouragée par ses parents ;
- la fillette au milieu de l’escalier : en bas Joachim s’est redressé et en haut le grand prêtre s’est avancé à sa rencontre.
Mais pourquoi le commanditaire a-t-il jugé bon de consacrer deux panneaux sur douze à des scènes si peu différentes ? Il faut pour le comprendre revenir au texte :
« Quand Marie eut deux ans, Joachim dit à Anne, son épouse : « Conduisons-la au temple de Dieu, afin d’accomplir le vœu que nous avons formé et de crainte que Dieu ne se courrouce contre nous et qu’il ne nous ôte cette enfant » Et Anne dit: « Attendons la troisième année, de crainte qu’elle ne redemande son père et sa mère» » Et Joachim dit : « Attendons. » El l’enfant atteignit l’âge de trois ans et Joachim dit : « Appelez les vierges sans tache des Hébreux et qu’elles prennent des lampes et qu’elles les allument» et que l’enfant ne se retourne pas en arrière et que son esprit ne s’éloigne pas de la maison de Dieu. » Et les vierges agirent ainsi et elles entrèrent dans le temple. Et le prince des prêtres reçut l’enfant et il l’embrassa… » Proto-évangile de Jacques, chapitre VII
Ce que le retable veut mettre en évidence, c’est l’extraordinaire maturité de Marie, qui ne se retourne pas vers ses parents au moment où elle est offerte définitivement à Dieu.
« Et ses parents descendirent, admirant et louant Dieu de ce que l’enfant ne s’était pas retournée vers eux. » Proto-évangile de Jacques, chapitre VIII
Mais pourquoi l’avoir figurée au milieu de l’escalier , et non pas en haut, accueillie par le grand prêtre ? Là encore, il faut revenir au texte, cette fois au chapitre précédent :
« L’enfant se fortifia de jour en jour. Lorsqu’elle eut six mois, sa mère la posa à terre pour voir si elle se tiendrait debout Et elle fit sept pas en marchant et elle vint se jeter dans les bras de sa mère. Et Anne dit : « Vive le Seigneur mon Dieu; tu ne marcheras pas sur la terre jusqu’à ce que je t’ai offerte dans le temple du Seigneur. » Et elle fit la sanctification dans son lit, et tout ce qui était souillé elle l’éloignait de sa personne, à cause d’elle. » Proto-évangile de Jacques, chapitre VI
En montrant Marie sur la septième marche, le peintre fait allusion à ces sept premiers pas miraculeux, qui valurent ensuite à Marie de passer deux ans et demi au lit pour éviter toute souillure.
Dans le même retable, deux autres panneaux suivent le même principe du décor unique, pour deux épisodes consécutifs :
« Le grand-prêtre prit les baguettes de chacun, il entra dans le temple et il pria et il sortit ensuite et il rendit à chacun la baguette qu’il avait apportée, et aucun signe ne s’était manifesté, mais quand il rendit à Joseph sa baguette, il en sortit une colombe et elle alla se placer sur la tête de Joseph. Et le grand-prêtre dit à Joseph : « Tu es désigné par le choix de Dieu afin de recevoir cette vierge du Seigneur pour la garder auprès de toi. » Et Joseph fit des objections disant : « J’ai des enfants et je suis vieux, tandis qu’elle est fort jeune ; je crains d’être un sujet de moquerie pour les fils d’Israël. » Le grand-prêtre répondit à Joseph : « Crains le Seigneur ton Dieu et rappelle-toi comment Dieu agit à l’égard de Dathan, d’Abiron et de Coreh, comment la terre s’ouvrit et les engloutit, parce qu’ils avaient osé s’opposer aux ordres de Dieu. Crains donc, Joseph, qu’il n’en arrive autant à ta maison. » Joseph épouvanté reçut Marie et lui dit : « Je te reçois du temple du Seigneur et je te laisserai au logis, et j’irai exercer mon métier de charpentier et je retournerai vers toi. Et que le Seigneur te garde tous les jours. » Proto-évangile de Jacques, chapitre IX
Ainsi la première scène illustre l’instant juste avant l’apparition de la colombe miraculeuse ; et la seconde développe les trois mots « Joseph reçut Marie », en montrant une véritable scène de mariage chrétien là où le texte n’évoque qu’un engagement de Joseph de devenir le « gardien » de Marie.
En faisant l’ellipse sur la colombe miraculeuse et les atermoiements du vieillard, les deux panneaux coupent court aux incertitudes du texte : le mariage découle de la désignation de Joseph, aussi simplement que le bâton qui passe de sa main droite à sa main gauche.
Il est remarquable que la fresque de l’abside représente un futur et même un double futur : Marie et Saint Jean debout, non aux pieds de la croix comme dans la représentation traditionnelle, mais aux pieds de Jésus ressuscité, en gloire dans sa mandorle. Ceci est logique une fois admise la convention de mettre en scène l’histoire de Marie dans des décors et des costumes contemporains, autrement dit à un moment où la fin de l’histoire est connue.
Loin de s’inscrire dans le miraculeux médiéval, le retable démontre une volonté très moderne de rationalisation du texte, par l’image.
De Troy ,1735, Getty Museum, Malibu
De Troy ,1735, Collection privée
Avant
Autour d’une table de toilette sur laquelle deux bougies sont posées, une belle dame se fait coiffer par une servante tandis que son amie en robe rouge examine un masque d’un air amusé. Un couple discute à l’arrière plan, deux hommes en robe sombre se penchent pour écouter la belle. Au dessus de la commode, trois bougies réelles et deux en reflet dans le miroir dessinent une diagonale ascendante. A noter la coïncidence amusante entre la position des sept bougies et celle des sept personnages.
Après
Derrière une table de salon sur laquelle une bougie est posée, une belle dame en robe rouge se fait déshabiller par la même servante, en déposant son masque sur la table. Le même couple discute à l’arrière plan, les deux mêmes hommes en robe sombre se démasquent et se décapuchent. Au dessus de la cheminée allumée, trois bougies réelles et deux en reflet dans le miroir dessinent une diagonale descendante. A noter la coïncidence amusante entre la position des six bougies et celle des six personnages.
Au delà du raffinement du « tableau de mode », tout le charme de ce pendant est que chaque tableau suggère un petit mystère :
- avant le bal, que confie la dame de si important à ses deux confidents ? Sans doute un secret amoureux, comme le montre la figurine dorée du cadre.
- après le bal, pourquoi l’amie n’est-elle pas rentrée, comme le montre son fauteuil vide?
La robe rouge et le masque nous font comprendre la scène : c’est l’amie qui est en train de se faire déshabiller, et la belle dame qui n’est pas rentrée du bal, accomplissant sa confidence mystérieuse.
Pauline Gauffier, 1798, Musée Magnin, Dijon
Sous un porche sombre, cette jeune italienne se fait lire les lignes de la main, en compagnie d’une amie. Le vase d’eau pure et le linge blanc suggèrent sa virginité.
Devant sa maison lumineuse, la même arbore un ventre rebondi, en compagnie de son mari. La carafe de vin et la corbeille parlent de plaisir et de fruit.
John Opie, vers 1800, Collection privée
A gauche, une gouvernante à lunettes a posé de gros livres sur la table, pour lire aux enfants une histoire lourde et ennuyeuse devant un rideau rouge fermé. En bas à droite, les deux plus jeunes jouent à un jeu de ficelle. Debout au fond, dominant les malheureux qui baillent ou sommeillent, une grande fille aux cheveux blonds et bouclés, l’index sur les lèvres, a une idée derrière la tête.
A droite, la gouvernante est partie et la grande fille a pris sa place, tenant un petit livre. On a repoussé la table inutile et ouvert le rideau sur le parc. Les deux plus jeunes ont dû partir courir dehors, c’est maintenant un chaton qui s’amuse avec la ficelle. Les deux filles brunes qui baillaient et s’étiraient à gauche s’enlacent maintenant à droite, captivées. Les deux petits qui rêvassaient derrière les livres ont ouvert les yeux. Attirés par l’histoire, deux nouveaux enfants, plus grands, sont venus compléter le tableau et remplacer les deux absents.
En inter-changeant les places et faisant sortir et entrer des acteurs, la composition montre par elle-même, tout en restant logique et équilibrée, comment lutter contre l’ennui.
Henry Mosler, 1868, tableau perdu
Henry Mosler, 1868, Morris Museum of Art
Pendant la guerre civile, Mosler était peintre aux armées dans le camp nordiste. Trois ans après la fin de la celle-ci, il peignit ce pendant mélancolique en hommage aux fermiers pauvres du Sud, qui avaient tout perdu dans le conflit.
A la petite maison vue de loin, un jour de grand soleil, avec ses colombes qui volent et sa cheminée qui fume, succède la ruine vide, vue de près sous la lune. En quatre ans le vieux père a dû mourir, la femme, les deux enfants et le chien ont disparu, la végétation a repris ses droits, le toit s’est déformé : tout a changé, sauf le fusil, revenu avec l’homme , et qui reste son dernier point d’appui.
Contrairement à ce que l’on pourrait croire, l’histoire de l’Enfant Prodigue a été très rarement traitée en pendant : soit les artistes ne représentent qu’un seul épisode spectaculaire ( les plaisirs et les vices, ou la déchéance parmi les porcs, ou le pardon du père), soit ils produisent une série en plusieurs épisodes (sept par exemple pour Murillo, quatre pour Tissot en 1889 ). Ceci s’explique sans doute par la différence de charge émotionnelle entre la scène banale du départ et la scène-choc du retour : comment le père va-t-il recevoir le fils indigne ?
Le départ de l’Enfant Prodigue
Le retour de l’Enfant Prodigue
Tissot, 1862, Petit Palais, Paris
Le Départ
Dans un décor et des costumes à la Carpaccio, Tissot multiplie les anecdotes amusantes : le singe qui s’agrippe au pilastre, le chien qu’on repêche dans l’eau pour rejoindre le teckel tiré en laisse sur le ponton, la bouteille vide qui flotte. Au centre, l’enfant prodigue, portant un étui qui contient sans doute un précieux cadeau, fait le baise-main à sa mère tandis que son père le bénit. Au bout du ponton, une barque l’attend pour le conduire au bateau.
Sous son apparence de pastiche policé, le tableau est moins anecdotique qu’il ne semble : le singe pourrait bien symboliser le démon qui guette ; la bouteille qui revient vide, la vanité des fêtes lointaines. Et le chien perdu qu’on repêche dit déjà la fin de l’histoire.
Le Retour
Tissot connait les règles qui font un bon pendant : contraste extérieur-intérieur, mouvement de gauche à droite qui se prolonge d’un tableau à l’autre, contraste de lieu : parti de Venise, l’Enfant Prodigue revient dans les Flandres. Mais le père et la mère sont trop vieux, le fils trop jeune pour correspondre aux personnages du début de l’histoire. Aucun raccord logique n’est à chercher entre les scènes, la cohérence vient d’ailleurs : entre peinture vénitienne et peinture flamande, Tissot accomplit sous nos yeux un grand écart esthétique qui le désigne lui-même comme le Fils Prodigue de l’Art, avec deux familles et deux maisons.[1]
Edouard de Jans, 1881, Groeninge Museum, Bruges
Après le médiéval, l’oriental. A première vue, le pendant ne fonctionne pas bien : parti par la gauche, le fils prodigue revient par le milieu.
A seconde vue, on comprend que le peintre a mis en place des symétries bien plus élaborées : on perçoit le contraste entre l’intérieur et l’extérieur, entre les silhouettes qui se séparent et les corps qui se retrouvent. Mais aussi entre la peau pâle et couverte, et la peau bronzée et nue : en s’agrippant à son père, le fils lui dénude la poitrine, et c’est comme s’il se déchargeait sur lui de toute le dureté du désert.
Enfin, on se rend compte que les postures se sont inter-changées : le fils, qui a quitté son père assis et effondré, revient s’effondrer contre son père debout. Même les gestes des bras sont passés de l’un à l’autre :
- au fils tenant de la main droite son bâton et disant adieu de la main gauche, répond la père, retenant de la main gauche le bras inerte du fils, et accueillant de la droite son dos décharné ;
- au père se tenant le front du bras gauche et tendant le droit en signe d’impuissance, répond le fils se tenant le front du bras droit, et tendant le gauche pour demander secours.
Emile-Antoine Bayard, 1884, localisation actuelle inconnue
Une affaire d’honneur
Dans le premier tableau, exposé au Salon de 1884, une femme blonde en robe rouge pousse une botte vers le flanc d’une femme brune en robe bleu, qui la pare. A gauche au premier plan sont posés le chapeau rouge et le haut des vêtements de la blonde, ainsi qu’un éventail et une cravache. La brune a gardé son chapeau bleu à plumet. Parmi les quatre témoins, s’impose une dame en robe et cape noire qui observe calmement la scène, les bras croisés, une main dégantée : sans doute est-elle l’organisatrice qui a remis les épées aux combattantes ; une autre s’est retirée dans le sous-bois pour pleurer dans son mouchoir ; en robe brune et en robe bleue, les deux dernières s’enlacent d’effroi, tout en se penchant pour mieux voir.
La réconciliation
Suite au succès du premier tableau, Bayard lui ajouta rapidement un pendant [2, p 59].
On y retrouve les mêmes personnages, aussitôt après le premier sang : la duelliste blonde, allongée à terre, est touchée au poignet droit, sur lequel la témoin en brun applique une compresse ; la pleureuse du sous-bois tend son mouchoir à la témoin en bleu, qui y verse le contenu d’un flacon. L’organisatrice agite son gant pour héler un fiacre qui attendait au loin. Quand à la duelliste victorieuse, elle s’est accroupie près de la blessée pour lui soutenir tendrement la tête et lui tenir la main : réconciliation.
Un fait divers d’époque
Selon P.Borel [3, p55], il s’agit d’un duel ayant opposé dans le bois de Vincennes la femme de lettres Gisèle d’Estoc et Emma Roüer, une écuyère au cirque Medrano et modèle de Manet. Toutes deux étaient élèves du célèbre maître d’armes Arsène Vigeant. Gisèle d’Estoc fut victorieuse, ayant blessé Emma au sein gauche à la quatrième reprise.
La femme de lettres avait eu un coup de foudre pour l’écuyère durant son numéro de voltige, lui avait jeté un bouquet de violettes de Parme et avait dîné avec elle le soir-même dans un cabinet particulier. Par la suite, Emma avait pris la tangente avec un marin de Hambourg, qui la battait, et était revenue vers Gisèle, qui l’avait reprise. Emma aurait fini par colporter des ragots sur Gisèle, d’où le duel.
L’identification des duellistes
Pour M.Hawthorne [4, p 84], la cravache posée par terre fait allusion à la profession de l’écuyère, mais au delà, à tout l’imaginaire érotique concernant les amazones aux seins nus et à la combattivité légendaire : elle permettait à tout spectateur qui n’aurait pas connu les détails de l’histoire, d’identifier les duellistes comme des femmes dominantes et à la sexualité déviante.
Puisque la cravache est posée à côté du chapeau rouge de la blonde, celle-ci devrait être l’écuyère, la brune victorieuse étant Gisèle d’Estoc. La seule erreur de Bayard est d’avoir représenté la blessure au poignet, et non au sein.
Gisèle d’Estoc la scandaleuse
Marie-Claude Courbe, alias Gisèle d’Estoc, a eu une histoire passionnante : sculptrice à ses débuts, veuve d’un industriel désargenté, elle tirait au pistolet dans son jardin ; se travestissait en collégien ; participait à des parties carrées avec Maupassant; avait une certaine intimité avec Rachilde, papesse des vierges sadiennes ; puis la déboulonnait dans un brûlot (La Vierge-réclame, 1887), était incendiée en retour (Madame Adonis, 1888) ; faisait des procès ; militait pour le féminisme ; et posait dit-on une bombe dans un restaurant pour se venger d’un littérateur insolent.
Une légende fin de siècle
Dans une étude érudite et serrée, Gilles Picq [2] a mené l’enquête en détail et prouvé que Borel avait pratiquement tout inventé ! Il n’y a jamais eu d’Emma Roüer écuyère, les dates sont incohérentes et personne d’autre n’a jamais parlé de ce duel.
Selon G.Picq,
« après avoir suivi toutes ces pistes, nous sommes arrivés à la conclusion que Bayard n’a pas illustré un événement s’étant réellement produit, mais que par son tableau il fut à l‘origine d’une légende fabriquée par Borel avec divers morceaux de puzzle différents associés artificiellement… Le fait même d’avoir mis en scène ces Femen d’un autre âge aurait dû inciter les observateurs contemporains à la prudence. Que les femmes s’embrochassent sur le pré était une chose, mais qu’elles dévoilassent leur nudité, en cette fin de siècle tout de même bien chaste, en était une autre. La société ne l’eût pas toléré. « [2, p 71]
Au mieux, s’il s’agit d’un tableau à clé, pourrait-on reconnaître Rachilde dans cette forte femme impassible devant laquelle semble s’incliner toute une cour de batailleuses, prêtes à se brouiller et à se réconcilier pour lui plaire.
Un pendant célèbre
Emile-Antoine Bayard, 1884, collection privée (Christies 28 octobre 2015)
Devant le succès, Bayard fit une copie du pendant qui est passée en vente récemment.
Une affaire d’honneur a été profondément repensé (et à mon sens amélioré) : les deux duellistes sont vues de biais et se séparent du groupe des témoins, pour plus de lisibilité. Sont ainsi libérés, au centre du tableau, un vide et un suspens : cette fois, c’est la brune qui porte l’attaque et la blonde qui pare, mais leurs forces sont équivalentes. Les couleurs des robes, rose et violet, s’opposent moins que le bleu et le rouge de la première version. La brune n’a plus son chapeau, peu réaliste pour un duel. Quant à la cravache du premier plan, elle a totalement disparu, preuve qu’elle n’était pas si indispensable à la bonne compréhension du tableau. Enfin, l’organisatrice a perdu sa prédominance, et se trouve maintenant à l’arrière- plan : peut être finalement n’a-t-elle rien à voir avec Rachilde.
La Réconciliation est une copie quasi identique, hormis les couleurs des robes, et l’absence de chapeau pour la brune.
Plus tard, un anonyme crut bon de remanier les costumes en mode 1900 (en supprimant un des témoins) : preuve du souvenir du premier pendant, à travers les lithographies.
Une notoriété universelle
Une affaire d’honneur eut dès 1884 un retentissement immédiat et conserva une célébrité durable : aux Etats-Unis, où il donna lieu à des copies et fut même repris sur des bagues de cigares, mais surtout en France : revue aux Folies Bergères, pièce au théâtre du Châtelet, tournée en province . Les duellistes étaient vêtues de maillots rose chair, il fallut attendre 1892 pour un authentique spectacle topless [2, p 68]. Il y eut aussi un roman, des cartes postales et des films, jusqu’en 1906.
Un nouveau champ de bataille
Suite au tableau de Bayard, la mode des duels de femme était lancée : en 1886, la féministe Astié de Valsayre se battit à l’épée avec Miss Shelby, sur la question de la supériorité des doctoresses françaises sur leurs homologues américaines ; elle la blessa, suite à quoi elles devinrent amies [2, p 164].
Duel Astié de Valsayre / Miss Shelby
The Illustrated Police News du 10 avril 1886
On peut vérifier que, dans la réalité, les poitrines restaient vêtues [5].
En conclusion, le thème avait tout pour plaire aux féministes, en s’attaquant à deux prérogatives de l’Homme : défendre l’honneur de son Nom (les femmes n’en ont pas) et faire couler le Sang (les femmes le font, mais physiologiquement).
D’autre part, en agitant des fantasmes saphiques au milieu des pointes d’épées et des pointes de seins , il émoustillait ces messieurs et donnait un peu de peps au duel, devenu en cette fin de siècle un rituel mondain et faiblement piquant.
Le pendant de Bayard misait donc sur tous les tableaux : un peu de subversif, beaucoup de suggestif.
Norman Rockwell
Adventurers
Norman Rockwell, The Saturday Evening Post, 14 avril 1928
L’homme de réflexion et l’homme d’action, celui qui examine le minuscule et celui qui scrute le grand large, celui qui sait et celui qui découvre, Rockwell les qualifie tous deux d’aventuriers, en fusionnant la main qui tient la loupe et celle qui tient la poignée. La mappemonde-gouvernail illustre la circularité entre la théorie et l’expérience,puis entre l’expérience et la théorie, qui fait de l’après un nouvel avant : ce qui est la définition même du progrès.
Going and Coming
Norman Rockwell, The Saturday Evening Post, 30 Août 1947
Départ en vacances dans l’enthousiasme, le matin à la campagne. Retour du lac Bennington dans la fatigue, le soir en ville.
Le jeu consiste à comparer les attitudes, jusqu’aux minuscules détails : le père s’est affaissé sur son volant et son cigare a raccourci, l’éternel chewing-gum de la grande soeur fait une bulle plus petite. Même la grand-mère granitique, au profil imperturbable, ramène sur ses genoux un rosier en souvenir.
Comme toujours chez Rockwell, ces deux toiles jointes sont basées sur de nombreuses photographies réalisées avec ses voisins d’Arlington [6] , et sur un dessin très précis au crayon [7].
Dessin préparatoire pour Going and Coming
Un second jeu consiste à comparer le tableau définitif au dessin. Les modifications visent toutes à augmenter la symétrie :
- suppression du cinquième enfant derrière la grand-mère, qui rompait l’équilibre filles/garçons ;
- décalage du fanion vers le bas, pour que le grand frère puisse sortir sa tête, mais sans se lever comme à l’aller ;
- suppression des voitures à l’arrière-plan, de manière à rajouter l’opposition campagne/ville ;
- simplification du premier plan : dans Going, la voiture de sport recule de manière à laisser la place à la ronce, tout en continuant de justifier la grimace du garçon
- dans Coming, l’image ironique du jeune couple en décapotable (contrepied de la famille nombreuse en tacot) est éliminée, remplacée par le fanion.
Dans Coming, le canot sur le toit (sans ses rames), la canne à pêche (tristement sortie par la fenêtre), les serviettes qui sèchent accrochées à la poignée, la tête de Peau-Rouge et le mot Lake sur le fanion, regrettent l’éphémère séjour des citadins dans la nature. Comme le nom du lac a changé entre le dessin et le tableau, il est probable que Bennington ne fait pas référence au lac lointain de l’Etat de Washington, mais est un clin d’oeil à une petite ville du Vermont, toute proche d’Arlington.
[2] On ne saurait trop recommander cette remarquable enquête, historienne et littéraire, et qui plus est accessible en ligne : Reflets d’une Maupassante, G.Picq avec la collaboration de N.Cadène, 2014, éditions des Commérages, https://fr.scribd.com/doc/269843423/Reflets-d-une-Maupassante
[3] Maupassant et l’Androgyne, Pierre Borel, Editions du Livre Moderne, Paris, 1944Extraits consultables via http://romanslesbiens.canalblog.com/ [4] Finding the woman who did not exist. The curious life of Gisèle d’Estoc, Melanie Hawthorne, University of Nebraska Press, 2013 https://books.google.fr/books?id=qY3cwMeQ1G0C&pg=PA40&dq=Melanie+Hawthorne,+Finding++the+woman+who+did+not+exist.&hl=fr&sa=X&ved=0ahUKEwi43fnM5NbRAhUCnRoKHcS4CSwQ6AEIHTAA#v=onepage&q=Bayard&f=false [5] Pour une collection de fantasmes dépoitraillés, on peut consulter http://www.fscclub.com/history/duel-topl-e.shtml. [6] http://www.nrm.org/HEA/GAC/ [7] http://www.norman-rockwell-france.com/rockwell-1947.php