Ravissement et pédagogie dans le parc des sculptures de la Fondation Clément

Publié le 23 janvier 2017 par Aicasc @aica_sc

Daniel Buren
l’attrape – soleil aux quatre couleurs
Photo F Guilbaud

Vous pouvez  simplement déambuler dans le jardin des sculptures de la Fondation Clément et jouir de la sérénité et de l’harmonie de cet éden vert, classé jardin remarquable par le Ministère de la culture. Ce sera déjà en soi une heureuse expérience. Mais si votre curiosité artistique s’éveille, vous pouvez appréhender différemment votre promenade et les œuvres  par des circuits thématiques : la conception sculpturale numérique, sculpture et mathématiques, la relation de l’œuvre et du spectateur, le reflet comme élément constitutif de l’œuvre,  le recyclage de matériaux, l’anthropomorphisme, l’écriture dans l’espace.

Les sculptures les plus « traditionnelles » d’apparence sont peut- être les plus innovantes. Virtual Yoona de Catherine Ikem et Louis Fléri, Silène luminariis sive Muflier de Borgès de Miguel Chevalier, Heavy Metal Stack Of Six d’Angela Bulloch sont en effet des créations numériques. Au premier regard, volumes d’acier ou de bronze, elles dissimulent leurs secrets. A l’origine, Yoona est une base de données 3D obtenue par le moulage numérique du visage d’une jeune coréenne. Virtual Yoona est donc la matérialisation en bronze de ce  modèle 3D, réalisée spécialement pour la Fondation Clément. Voici associés un matériau traditionnel de la sculpture, le bronze  et la conception numérique.  Et sous votre regard attentif, le soleil couchant révélera la face cachée de Virtual Yoona et vous percerez ainsi son  mystère. Car Virtual Yoona  a deux visages, celui du soleil levant et celui du crépuscule. L’œuvre de Miguel Chevalier appartient à la série des Fractal Flowers. L’artiste a modélisé les conditions de vie du vivant pour générer des formes complexes qui acquièrent ensuite une réalité matérielle à l’aide d’une imprimante 3D. Heavy Metal Stack Of Six d’ Angela Bulloch est  un  empilement  de  six  lourds  polyèdres  de  métal conçu  avec  un  logiciel  d’imagerie  numérique. Heavy Metal Stack Of Six a été exposée dans le Jardin des Tuileries lors de la FIAC 2014 et une version Pink l’a été à Art Basel en 2015.

Miguel Chevalier
Fractal Flower
© Fondation Clément

Catherine Ikam Louis Fléri
Virtual Yoona
Virtual Yoona
Bronze patiné
236 x 167 x 126 cm
2015
© Fondation Clément

Angela Bulloch
Heavy Metal Stack Of Six

Angela Bulloch
Heavy Metal Stack Of Six

Les polyèdres d’Angela Bulloch comme 218.5°Arc X4 de Bernar Venet allient mathématique et sculpture. La sculpture de Venet a toujours entretenu un rapport étroit avec les mathématiques et il fait graver sur l’œuvre la formule de son identité mathématique. Il emprunte la grammaire de l’art minimal : économie de moyens, rejet de l’illusionnisme et de la séduction, emploi de matériaux industriels et structuration de l’espace.

Bernar Venet
©Fondation Clément

Bernar Venet Détail

Certaines œuvres rassemblées dans ce parc interpellent le spectateur, entraînant sa participation active à des degrés divers. Ainsi le mouvement du spectateur modifie la vision qu’il a d’ Heavy Metal Stack Of Six d’ Angela Bulloch. La  déambulation  autour  de  l’œuvre  perturbe  la perception et   donne  l’impression  que  les  formes  s’animent  :  on ne sait plus si  la  colonne est en deux ou trois dimensions.  La surface transparente recouverte de papiers vitrail de l’attrape – soleil aux quatre couleurs de Daniel Buren joue avec la lumière, le soleil, les nuages et  inonde l’espace de taches de lumière colorée car  l’attrape couleur est orienté en direction du sud pour capter le maximum de rayons solaires. Les alentours sont alors inondés de halos colorés et l’œuvre invite le public à suivre la course du soleil autour d’elle et dans le paysage environnant à la manière d’ un cadran solaire. Daniel Buren n’impose jamais un point de vue unique mais prévoit une multiplicité de points de vue parmi lesquels le public a la liberté de choisir.

Daniel Buren
l’attrape – soleil aux quatre couleurs

Daniel Buren
l’attrape – soleil aux quatre couleurs

Si le Huge Sudeley bench de Pablo Reinoso, explore les limites du matériau acier et ses capacités de torsion, il convie simplement le promeneur à s’arrêter  sur le banc pour un instant de contemplation et de rêverie. Par contre, le  Dimensionnal Mirror Labyrinth de Jeppe Hein joue à cache- cache avec le spectateur, fragmenté et démultiplié  dans cet enchevêtrement d’images.  Il en perd ses repères et s’égare entre espace réel et espace reflété.

Pablo Reinoso
Huge Sudeley bench
2009
© Jean- François Gouait

La plupart de ces œuvres intègrent le  reflet à leur processus de création. Le  thermolaquage  de la colonne sans fin d’Angela Bulloch reflète  la  lumière  et la végétation environnante.  C’est tout le feuillage qui se retrouve diffracté dans le Labyrinthe de Hein en acier poli aussi brillant et réfléchissant que des lames de miroir. L’essence même de l’œuvre de Buren, c’est le reflet et la transparence. Même l’œuvre de Christian Bertin joue avec ses ombres portées suivant la course du soleil.

Jeppe Hein
Dimensionnal Mirror Labyrinth

La sculpture contemporaine a pour particularités de rompre avec la représentation du monde réel, de s’affranchir des modes conventionnels de la sculpture et de promouvoir de nouveaux matériaux parfois issus du recyclage. Trois voire quatre  des sculptures du Parc sont fabriquées à partir de matériaux recyclés : Ombres de Christian Bertin, Arithmétique des croisements de Bruce, Modesto Meditación Horizontal de Modesto Ramón Castañer et Avançons  tous ensemble de Luz Severino. Christian Bertin s’inspire de la tradition martiniquaise de la récupération et réutilisation des objets et produit une installation – assemblage à partir d’anciens fûts métalliques déjà recyclés en réservoirs d’eau avant d’être promus matériaux artistiques et qui dresse ses totems vaguement anthropomorphes  sur un fond de ciel ou de verdure. Bruce donne un second souffle à des matériaux délaissés. La forge de quel Vulcain a-t- elle  pu ainsi nouer,  comme un léger lacet,  le cylindre géant de Modesto Ramón Castañer ?

Modesto Ramón Castañer
Modesto Meditación Horizontal
© Fondation Clément

Bruce
Arithmétique des Croisement
© Fondation Clément

Entre récupération et anthropomorphisme, Luz Severino fait le lien avec Christian Lapie. Tous deux proposent une tribu en marche ( serait- elle prophétique ?)  Jusqu’à l’ombre de Christian Lapie, un groupe de géants totémiques, taillés à la hache et à la tronçonneuse dans du bois brut et calciné, dressés comme des sentinelles, déploient leur taille immense et dialoguent de loin avec Les Ombres de Christian Bertin.

Christian Lapie
Jusqu’à l’ombre
Chêne
6,3 x 5 x 2 m
2011

Luz Severino
Avançons tous ensemble
Métal oxydé et peinture
Dimensions variables
2011
© Fondation Clément

Christian Bertin
Ombres
2014
© Jean- François Gouait

Thierry Alet et Jonone quant à eux étirent leur écriture dans l’espace. Le rouge Blood de Thierry Alet est un hommage au  poème Rappel de Damas «  Il est des choses dont j’ai pu n’avoir perdu tout souvenir  » tandis que Jonone inscrit le nom du premier propriétaire des lieux, Clément, dans une œuvre commémorative commandée par la Fondation pour le 125ème anniversaire de la marque.

Thierry Alet
Blood
Panneaux de bois contreplaqué en bouleau, armatures métalliques, mousse polystyrène haute densité, toile de fibre de verre, résine époxy, apprêt polyester et peinture polyuréthane.
250 x 700 x 60 cm
2011
© Henri Salomon

Jonone
Clément
Métal laqué, bouteilles en verre coloré, leds
2013
© Fondation Clément

Les œuvres anthropomorphiques de Bertin, Severino, Lapie sont de bois brut ou matériaux recyclés selon un mode de création traditionnelle : taille, soudure, assemblage. D’autres œuvres issues du recyclage adoptent une forme abstraite : Bruce et Castaner. Cependant les créations de Chevalier, Ikam, Bulloch sont assistées par ordinateur alors que  l’abstraction de Bulloch et Venet structurent  l’espace. Reinoso, Buren et Hein réclament la participation active et parfois ludique du spectateur. Les sculptures dont les effets sont les plus sophistiqués, celles de Bulloch, Buren, Hein,   semblent composées de modules élémentaires mais sont le résultat de calculs complexes.

Tout ceci pour évoquer la diversité des propositions artistiques de ce parc   propices à une initiation à la sculpture contemporaine et dont le mérite –  s’il n’en avait qu’un ce qui n’est pas le cas- est bien de démontrer à quel point la sculpture contemporaine est  loin d’être statique ou univoque  mais au contraire ludique, multiple, susceptible de vous fournir mille et une approches.

 Dominique Brebion