20 janvier 2017, journée que j’ai décidé de consacrer à Nahui Olin. Toute une journée pour quelques minutes de contemplation de ses portraits que présente l’exposition « Mexique 1900-1950 » au Grand Palais de Paris.Comme il me faut aller à Paris, je me suis levé à 5H pour un train à 7, bien évidemment annoncé avec un retard de 10 minutes. Il fait depuis quelques jours un froid tenace. Les quelques flaques d’eau qui jonchaient le sol ont laissé place à de la glace. C’est malgré tout supportable, le vent s’est caché. Je suis toutefois habillé en conséquence ce qui me fait craindre la charge lorsque je serai dans des endroits chauffés. Heureusement, je n’ai pas de bagage en dehors de ma musette habituelle. Un livre et la revue FEUILLETON que j’ai reçue il y a quelques jours, Le # 19 daté de Hiver 2017. Dans le train, avant de l’ouvrir, je range mes gants et mon bonnet dans les poches de ma parka. J’y trouve les clefs de voiture et me rends compte alors qu’Aimcy va être bloquée à la maison alors qu’elle doit conduire sa mère visiter son prochain domicile dans une unité médicalisée d’accueil de personnes âgées. Je lui rédige aussitôt un texto, espérant me faire pardonner.
Le jour se lève alors que le train arrive à Bordeaux. A l’est émerge un griffonnage flamboyant, faisant écho au bœuf Wagyu que Gary Shteyngert déguste dans FEUILLETON. Peu après l’arrêt à Ruffec, je vais prendre un expresso au wagon-restaurant qui n’en est d’ailleurs plus un. Je ne me souviens d’ailleurs plus comment l’annonce radio interne le présentait ; un bar ? On me le sert sur un petit plateau en carton bouilli car je me suis laissé tenté par un croissant. Il y a aussi une serviette en papier qui, avec provocation ou humour, je ne sais, annonce, péremptoire, que « rien ne pourra entacher votre voyage » ! C’est sans compter les retards habituels et les soubresauts du train qui projettent mon café aux limites du débordement.
J’arrive à Montparnasse avec ½ heure de retard. Pas trop grave. Dans quelques instants, je vais être à portée des toiles de Nahui.
J’en verrai trois et pas des moindres. De celles qu’elle réalisait sous l’impulsion de besoins multiples et complémentaires ; souvenirs de découvertes du vaste monde, Paris, Manhattan, Acapulco, mais aussi et surtout des autoportraits dans les bras de son amant du moment, le regard fixé sur leur visage avec intensité. Des instants forts qui marquent une vie. Les images provocantes d’une femme libérée qui s’expose sans complaisance dans la plénitude d’un bonheur fugace. « Je jouis et je vous le prouve » semble-t-elle nous dire de façon ironique.
Nahui est également présente sous le pinceau de Dr. Atl, de son vrai nom Gerardo Murillo, un homme qui compta dans sa vie. Mais je ne vais pas revenir là dessus, j’en ai déjà longuement parlé ici : Une beauté indomptable.Curieusement, Dr. Atl est bien discret au sein de cette expo alors qu’il est un peintre important de cette époque et même essentiel par l’originalité de sa quête de la beauté des éléments telluriques. Hormis les portraits de Nahui, nada ! Il ne figure même pas dans l’index du magnifique catalogue de l’exposition.
dr-atl
J’y retrouve d’autres artistes auxquels je suis attaché, José Guadalupe Posada auquel je voue une admiration sans borne, la divine Tina Modotti dont j’ai également longuement parlé, des toiles de mon peintre mexicain préféré, Siqueiros, que je hais par ailleurs pour son engagement politique excessif. Siqueiros, dont la puissance expressive affadit irrémédiablement le talent de Rivera. Mais pourquoi les comparer… si ce n’est que l’un est quasi inconnu des français et pas l’autre. Mais Ribera attire les foules, c’est une tête d’affiche qui fera de cette exposition un succès. Il n’est pas le seul, il y a bien évidemment Frida.
Siqueiros, découvrez le peintre David Alfaro Siqueiros, je vous en prie !
Siqueiros
Les visiteurs se pressent dans une cohue silencieuse et respectueuse. Combien d’entre eux songent à la réalité de cette époque ? Combien voient la boue, le sang et les larmes sous les couleurs flamboyantes de ces peintures alors même que les squelettes – les calaveras et les catarinas- apparaissent sans cesse ? Le Mexique d’alors vivait les affres qui préfiguraient le chaos de la Guerre civile espagnole puis de la seconde guerre mondiale…
Si le plus grand mérite de cette magnifique exposition est de dresser un vaste et exhaustif panorama de la peinture mexicaine du début du 2Oe siècle, il en est un autre, à ne pas négliger, celui de replacer Frida Khalo à sa juste place parmi ses condisciples. Je ne veux en rien dénigrer son art, mais je trouve excessif la place qu’on lui accorde au sein de ce mouvement fondamental de l’art pictural. À mon sens, elle bénéficie d’une aura émanant plus de conditions extra-artistiques. Femme blessée dans son corps (l’accident de bus) et dans son cœur (les trahisons de son époux Diégo Ribera), sa peinture fut une thérapie. Les symboles qu’elle exprime sont si forts qu’ils s’adressent plus à la froideur d’une analyse intellectuelle qu’au ressenti émotionnel. Et pourtant, d’autres femmes, Nahui Olin et Tina Modotti notamment, ont tout autant vécu cette époque avec une passion aussi intense, insufflant à l’art comme à la condition féminine des apports tout aussi puissants. La première dans la peinture et la littérature, la seconde dans la photographie. Et cela se perçoit aisément dans cette exposition dont l’appareil muséographique donne les clefs. Quelques petits regrets, l’absence sur l’affiche du génial David Alfaro Siqueiros alors qu’elle cite Diego Rivera, Frida Kahlo et José Clemente Orozco, ou, plus grave, la quasi absence du formidable renouveau de la gravure à cette époque.
Arrêt à la boutique et déception de ne pas trouver de monographie de ceux que j’admire, qu’ils soient peintres ou photographes. Seule, Tina y figure mais je possède déjà les ouvrages présentés. Je quitte les lieux en me promettant de me pencher attentivement sur Olga Costa et Maria Izquierdo. Et surtout sur Jean Charlot, ce peintre français qui participa au mouvement muraliste mexicain avant de s’exiler à Hawaii où il décédera. Les rares toiles présentées m’ont subjugué.Il est temps de rejoindre Montparnasse et mon train de retour. Aurai-je quelques instants pour apaiser ma faim ?
Mais pour l’heure, j’ai envie de me promener. Je retrouve Paris, comme une connivence oubliée. Six ans déjà que je l’ai quitté et pourtant je suis toujours autant imprégné de son atmosphère. Du coup je déambule. Je hume, je distingue de vieilles réminiscences. Pas de surprises ? Je me sens bien et malgré le froid je flâne. Je longe ainsi la Seine Jusqu’au Parlement.
De retour à Montparnasse, je pénètre dans cet immense hall que j’abhorre. A côté, j’avale un plat japonais insipide puis décide de me reposer en salle d’attente. Mais il y fait trop froid. Je reprends mon balluchon et vais me réfugier dans une brasserie de l’avenue du Maine devant un chocolat chaud. J’évite le café avant de me lancer dans un périple dont je ne sais s’il propose des toilettes à intervalles réguliers…
Revenu à la gare, j’apprends que mon train à 10 minutes de retard. Tiens donc ! Et lorsque j’arriverai à destination, ce n’est pas loin de 90 minutes qu’il aura perdu sur l’horaire prévu.
A quelques heures près, Alfredo Aguire, jeune illustrateur mexicain que je connais, arrivait à Paris. Dans ses bagages, une œuvre graphique retraçant la vie de Nahui Olin. Il se rend à Angoulême avec pour projet de trouver un éditeur pour une publication en France. J’espère de tout cœur qu’il y parviendra.