Il y a trois ans disparaissait Claudio Abbado. Que servirait-il de rappeler une fois de plus notre lien indéfectible à l’homme et à l’artiste: alors, j’ai eu une autre idée, celui de le rendre vivant, une irruption d’Abbado en direct parmi nous. Et aussi de retrouver et publier tels que des textes écrits en le suivant, avant la naissance du Blog, et en ce soir si particulier et dans les prochains jours, de rappeler au lecteur ce que fut son Parsifal dont on parla peu en France à l’époque: vivant parce que vous allez lire un texte de Claudio Abbado annonçant le projet Parsifal avec le Philharmonique de Berlin en 2001-2002. C’est un court texte inédit en France d’une immense émotion qui ouvrait sa dernière saison berlinoise, adressé aux berlinois, et qui dit sur Parsifal des choses simples et intenses.
À l’époque, j’étais déjà Wanderer et je publiais sur le site des Abbadiani Itineranti. J’ai retrouvé mon texte sur ce Parsifal, ce sera pour plus tard. Ce soir, c’est Claudio qui s’adresse à nous, et pour l’heure, nous sommes tous les berlinois.
Le Parsifal de Richard Wagner est déjà depuis longtemps dans mon esprit. Après avoir dirigé Lohengrin, Tristan und Isolde, et tant de préludes et d’extraits d’opéras wagnériens, aujourd’hui, à la fin de mon mandat à la tête du Philharmonique de Berlin, je me dédie à Parsifal. Wagner lui-même s’est immergé dans le Thème durant des décennies, avant de pouvoir construire son propre drame à partir des fondations du poème épique de Wolfram von Eschenbach. Aucun autre opéra n’a mobilisé son attention pendant une période aussi longue. Dans Parsifal, Wagner a réuni une symbolique si riche et tant de motifs venus de tant de mythes, que l’opéra produit des signifiés toujours neufs et aussi souvent très différents entre eux. Pour moi aussi, la Musique exerce une particulière fascination, parce qu’elle est d’une clarté et d’une épaisseur extraordinaires et que du point de vue de la composition elle constitue un regard vers le passé, et à travers une nouvelle modalité harmonique moderne, un regard vers l’avenir. Elle est un pont entre le romantisme et le XXème siècle.
« Zum Raum wird hier die Zeit » (« ici l’espace devient temps »). Cette citation de l’opéra doit être le leitmotiv de notre saison de laquelle Parsifal est le noyau. J’ai réfléchi longtemps à la possibilité de porter Parsifal « Festival scénique sacré » destiné à l’idéal acoustique de Bayreuth sur le podium de la Philharmonie de Berlin. L’oeuvre de Wagner est une « Oeuvre d’art totale » (Gesamtkunstwerk) qui nous touche d’une manière toute particulière, et sur laquelle la musique a un effet quasi objectif. Au développement de la temporalité s’ajoute une atmosphère spatiale qui nous entoure. Scharoun(1) lui-même avait sa propre idée des effets conjugués espace-musique-homme, qu’il a pu réaliser de manière géniale par la construction de la Philharmonie de Berlin. Mon rêve consistait à mettre ensemble ces deux visions.
Je suis heureux et reconnaissant que nous ayons pu faire fondre des cloches spéciales pour les importantes scènes du Graal qui auraient dû être celles que voulait Wagner pour les représentations. On sait combien Wagner tenait à ces cloches.
Je voudrais profiter de ce moment pour remercier mon public berlinois pour la fidélité et l’amour qu’il m’a témoigné tout au long de ces années. J’éprouve une profonde amitié pour cette ville et ses habitants auxquels je resterai, dans le futur aussi, toujours lié.
Claudio Abbado
(1) L’architecte de la Philharmonie de Berlin