L’auteur raconte en effet les 111 jours de détention de Christophe André, membre de Médecins Sans Frontières. Sa première mission humanitaire à Nazran, en Ingouchie, tourne au cauchemar après seulement trois mois, lorsqu’il est enlevé en pleine nuit par des hommes armés.
Le défi de Guy Delisle consiste à nous tenir en haleine avec un récit où il ne se passe absolument rien et ayant pour unique décor un matelas à même le sol dans une pièce déserte. Menotté à un radiateur, Christophe André n’a que ses pensées pour l’occuper durant ces journées complètement vides qu’il entreprend néanmoins de compter avec le plus de précision possible. Il y en aura 111 au total !
L’auteur parvient non seulement à restituer le temps qui passe en multipliant des cases quasiment identiques, mais il réussit surtout à nous faire entrer à l’intérieur de la tête du kidnappé en partageant ses pensées, ses angoisses, sa colère et son rêve de liberté. Le lecteur se retrouve pour ainsi dire enfermé avec l’otage, se demandant où il se trouve, pourquoi il est détenu et combien de temps cela va durer. Chaque détail qui vient rompre la monotonie des journées constitue dès lors un événement majeur, allant de quelques gouttes du bouillon quotidien renversées par les ravisseurs jusqu’à une photo que l’on vient prendre de lui.
La narration lente de l’auteur permet de creuser le côté psychologique, tout en nous tenant en haleine durant près de 400 pages. Lors de ces récits de voyage autobiographiques, l’auteur avait parfois tendance à trop survoler le fond du sujet tout en insufflant une certaine forme d’humour, parfois proche de l’autodérision, que je ne trouvais pas toujours adéquate. Ici, il laisse l’humour de côté et livre un témoignage poignant.
Visuellement, cet album est également une grande réussite. La répétition de cases épurées et souvent dénuées de texte, renforce encore l’impression de huis-clos, noyant le lecteur dans un silence au sein duquel il commence également à guetter le moindre petit bruit, le moindre événement, aussi insignifiant soit-il. Le tout, dans une bichromie bleue et grise, qui accentue l’ambiance froide et triste de cette longue captivité.
Le meilleur Delisle !