« Si nous ne sommes pas en mesure de défendre les droits de l'homme et de protéger notre mode démocratique de gouvernement, nos sociétés risquent de sombrer tôt ou tard dans la confrontation», C'est un discours d'une haute tenue qu'a tenu aujourd'hui, Carl Bildt, Ministre suédois des Affaires étrangères et Président du Comité des Ministres, devant l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe à STRASBOURG
"La paix n'est jamais définitivement acquise"
C'est un honneur pour moi de prendre la parole devant votre éminente Assemblée en ma qualité de Président du Comité des Ministres.
Je n'ai jamais eu le privilège d'être membre de votre Assemblée mais au fil des décennies, j'ai eu l'occasion de suivre vos travaux de près car de nombreux parlementaires suédois de premier plan ont témoigné, à juste titre, de leur importance capitale.
Les raisons en sont manifestes.
Certes, le Conseil de l'Europe ne s'occupe pas des problèmes liés au prix des denrées, à la politique énergétique ou à la ratification des traités, comme nous l'avons fait, au sein d'une autre institution, une partie de la semaine dernière, mais il se penche sur des questions qui sont absolument fondamentales pour le bien-être de nos citoyens et de nos sociétés et ce, dans une partie beaucoup plus vaste de l'Europe.
En mai, nous avons signalé le fait que soixante ans se sont écoulés depuis le jour où le Congrès de la Haye a donné l'élan nécessaire à la création, un an plus tard, de ce Conseil, événement que nous célèbrerons l'année prochaine.
Ce Congrès se fondait sur la ferme conviction que ce n'était qu'en sauvegardant l'Etat de droit, en protégeant les droits de l'homme et en instituant des structures démocratiques de gouvernance que l'on pourrait garantir la paix et la prospérité dans notre région du monde.
Cette vérité allait de soi immédiatement après la fin d'une autre de ces guerres qui ont dévasté l'Europe.
Toutefois, nous devons, je crois, nous en souvenir même dans l'Europe d'aujourd'hui. La paix n'est jamais définitivement acquise. La prospérité ne vient pas de nulle part.
Si nous ne parvenons pas à instaurer l'Etat de droit, nos sociétés sont condamnées à tomber dans un nihilisme juridique qui tôt ou tard, mettra en péril pratiquement tous les autres domaines.
Si nous ne pouvons pas sauvegarder les droits de l'homme de tout un chacun, nos sociétés risquent de sombrer dans l'obscurantisme.
Si nous ne pouvons pas protéger notre mode démocratique de gouvernance, avec tout ce qu'il suppose, alors nos sociétés risquent, tôt ou tard, de s'enfoncer dans les conflits, les crises et le chaos.
La raison d'être du Conseil de l'Europe est précisément d'éviter ce désastre, de préserver les plus fondamentales de nos valeurs européennes comme les plus fondamentaux de nos intérêts européens.
C'est pourquoi l'Europe doit garder la tête haute et être fière de ses réalisations ; en Europe même et dans le monde.
Cependant, tout en étant fiers de nos réalisations, nous devons aussi reconnaître que nous avons d'importants défis à relever et que ces valeurs et intérêts doivent être sauvegardés partout et toujours.
Mon pays, la Suède, fait de son mieux mais nous-mêmes devons admettre que certaines décisions de la Cour européenne des droits de l'homme mettent parfois au jour des failles dans notre observation des plus hautes normes en matière de respect des droits de l'homme et qu'il nous faut engager des réformes.
Aucun Etat n'est au-dessus de ces normes. Tous les Etats sont soumis à la juridiction des institutions communes dont nous sommes si fiers.
Le Conseil joue un grand rôle dans un nombre considérable de domaines. Cependant, l'organisation d'élections libres et équitables est manifestement d'une importance majeure.
Or, dans ce domaine, votre Assemblée, en coopération avec d'autres institutions, joue un rôle capital.
Cette semaine, votre ordre du jour comprend des rapports sur les récentes élections organisées en Géorgie ainsi que dans «l'ex-République yougoslave de Macédoine».
Dans les deux cas, nous avons constaté des insuffisances mais, dans les deux cas aussi, nous avons observé des améliorations lors des derniers tours de scrutin.
Vous avez également inscrit à votre ordre du jour la situation en Azerbaïdjan - où doivent se tenir prochainement de nouvelles élections, ainsi que la situation en Arménie, après les événements tragiques du 1er mars.
La situation dans ces deux pays exige un suivi attentif. L'attention que vous portez à ces pays est particulièrement opportune.
Pour ce qui est de l'avenir, on constate que des élections législatives sont prévues au Bélarus le 28 septembre.
Manifestement, nous espérons tous que des changements démocratiques se produiront bientôt dans ce pays, ce qui lui permettra d'assumer la place qui lui revient au sein de cette Assemblée.
Ces élections seront suivies de près. Je ne peux qu'appeler les autorités du Bélarus - dans l'intérêt de l'avenir de leur pays - à permettre la tenue d'élections véritablement libres et équitables, et à inviter des observateurs internationaux à venir dans leur pays, pour des missions de courte ou de longue durée.
Je m'entretiendrai avec mes homologues qui président l'OSCE et l'Union européenne pour que nous voyions ensemble ce que nous pouvons faire afin que cet objectif important puisse être atteint.
Mais la démocratie ne se résume pas à l'organisation d'élections libres et équitables. Il faut aussi respecter le résultat du vote et le gouvernement qui est ensuite formé.
Je crois savoir que vous avez l'intention de tenir un débat sur la situation en Turquie et sur les procédures judiciaires engagées contre le gouvernement démocratiquement élu, qui pourraient avoir de très lourdes conséquences.
Nous devons évidemment respecter la Constitution de la Turquie, mais, lorsque nous examinons le fonctionnement des institutions constitutionnelles du pays, nous devons aussi prendre en compte les principes et les pratiques des Etats membres du Conseil de l'Europe.
Si l'interdiction d'un parti politique est toujours une question grave, la Commission de Venise a cependant établi en la matière des règles qu'il conviendrait de respecter. J'estime que les lois et les pratiques qui s'écartent de manière significative de ces règles seront sérieusement remises en question, et pas seulement dans notre Assemblée.
Je le répète, notre mission consistant à faire respecter les droits de l'homme et le principe de la prééminence du droit s'applique à tous les pays (il ne faut jamais avoir deux poids, deux mesures). Je souhaiterais toutefois mentionner deux régions auxquelles nous accordons actuellement une attention particulière.
L'une d'elles est l'Europe du Sud-Est.
A la réunion ministérielle du 7 mai, nous avons pu tenir un large débat sur ce sujet, à la fois sur ses aspects généraux et sur les activités du Conseil de l'Europe en faveur de cette région.
L'Etat de droit et le respect des droits de l'homme ont beaucoup progressé dans la région ces dix dernières années, mais il reste beaucoup à faire.
Les réfugiés et les déplacés devraient avoir le droit de retourner chez eux s'ils le souhaitent. Le principe de la prééminence du droit devrait s'appliquer à tous, sans aucune distinction. Les élections devraient se dérouler dans un climat pacifique et les électeurs ne devraient être soumis à aucune forme de coercition ou d'intimidation. Quant à la corruption, c'est un mal qui ronge la démocratie et a des effets destructeurs. Enfin, il faut voir dans les voisins européens de futurs amis, et non pas d'anciens ennemis.
Le Conseil de l'Europe apporte son aide dans tous ces domaines et doit continuer à la faire.
Je suis heureux de noter que M. Tadić, Président de la Serbie, s'adressera à vous cette semaine. J'espère que pourra être formé très bientôt un gouvernement favorable aux réformes, qui rapprochera la Serbie de l'Europe.
M. Tadić vous exposera sûrement le point de vue de son pays sur le statut du Kosovo. D'autres gouvernements partagent le même point de vue, même si la majorité des membres du Conseil de l'Europe ont reconnu le Kosovo comme un Etat indépendant placé sous supervision internationale.
La Résolution 1244 du Conseil de sécurité de l'ONU continue à s'appliquer, et une reconfiguration de la présence internationale au Kosovo va maintenant avoir lieu. Il est important que le Conseil de l'Europe puisse poursuivre ses activités dans ce nouveau cadre.
Peu de choses sont aussi importantes pour l'avenir du Kosovo et tous ses habitants que la primauté du droit ; or, nul d'entre nous n'ignore que la situation actuelle y laisse beaucoup à désirer en la matière.
Le deuxième sujet de préoccupation particulière est manifestement le Caucase du Sud.
Dans cette région aussi, on a progressé vers la mise en place d'institutions démocratiques et dans le sens du respect des droits de l'homme et de la primauté du droit, depuis que l'Arménie, l'Azerbaïdjan et la Géorgie ont adhéré au Conseil de l'Europe.
Toutefois, les observations électorales organisées dans ces pays ont montré qu'il y restait des lacunes à combler pour que les élections deviennent vraiment démocratiques.
De plus, la vie politique des trois pays en question se caractérise par une nette polarisation et un fort antagonisme entre majorité et opposition, et cette absence de dialogue et de confiance politiques constitue, selon moi, un grave obstacle structurel au progrès de la démocratie.
L'avenir de la région tient au développement économique et à la résolution des conflits, faute de laquelle ces derniers tendent à dominer le jeu politique.
Je voudrais insister sur l'importance fondamentale que nous attachons à l'intégrité territoriale de la Géorgie. Il va de soi que l'Abkhazie devra jouir à l'avenir d'un degré d'autonomie maximum, mais l'intégrité territoriale de la Géorgie ne saurait être mise en question. Si elle l'était, cela menacerait la stabilité d'une région bien plus vaste.
S'agissant à présent des aspects plus formels de mon intervention, je pense que vous avez tous reçu ma communication écrite exposant en détail l'avancement des travaux de la Commission au cours des derniers mois écoulés, y compris la 118e Session ministérielle et ses suites, ainsi que les événements à venir.
Je me bornerai à mettre en lumière quelques points particulièrement importants aux yeux de la Présidence suédoise.
Comme ma collègue Cecilia Malmström vous en a informé à la réunion que votre Commission permanente tenait à Stockholm le mois dernier, l'objectif prioritaire de la Suède est d'appliquer la décision prise à Varsovie de mettre l'accent sur l'essentiel, à savoir la concrétisation des droits pour les citoyens européens.
Cela, nous le faisons par le biais de la Convention européenne des droits de l'homme et de la Cour européenne des droits de l'homme.
Les difficultés que nous avons à surmonter en la matière sont bien connues : la notoriété croissante que la Convention et la Cour connaissent dans une partie de l'Europe qui s'élargit sans discontinuer a provoqué une forte accumulation d'affaires à traiter.
En soi, la chose est on ne peut plus satisfaisante. En effet, à côté d'institutions internationales dont l'utilité ne cesse de diminuer, en voici une qui est perçue comme de plus en plus importante par un nombre croissant d'Européens.
Et à cet égard, nous autres gouvernements et parlementaires des quarante-sept pays du Conseil avons la responsabilité collective de veiller au bon fonctionnement de cette institution.
Je puis vous assurer que j'y attache du prix et que j'y consacrerai de l'attention.
La ratification du Protocole 14 présente manifestement une importance essentielle. j'espère qu'un regain d'intérêt pour la primauté du droit en Russie créera de nouvelles possibilités à cet égard, et il va de soi que je suivrai l'évolution de la question.
Mais je voudrais vous rappeler que ces problèmes sont à aborder de bien des manières. Il nous faut également souligner l'importance des efforts nationaux visant à ce que la Convention soit applicable au plan national.
C'est là un des moyens les plus efficaces de mettre la Cour à l'abri d'une trop grande accumulation d'affaires.
Les ministres ont pris acte, lors de leur Session, des activités conduites à cet effet, après quoi un colloque a été organisé sur la question à Stockholm, au début du mois. Il sera tenu compte des conclusions de ce colloque dans les suites du travail de réforme.
Tels sont quelques-uns des objectifs prioritaires que nous continuerons à poursuivre.
Ils sont tous en rapport, non seulement avec les principaux thèmes d'action identifiés dernièrement pour le Conseil de l'Europe, mais - et ceci est encore plus important - avec les valeurs et préoccupations fondamentales définies lors de la création de l'Organisation, il y a près de soixante ans de cela.
Ces valeurs et préoccupations ont fait depuis les preuves de leur force et de leur importance, et je suis convaincu qu'il en ira de même au cours des décennies à venir.
Carl BILDT
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