" Plus l'homme acquiert de la puissance, plus il devient vulnérable. Ce qu'il doit le plus redouter, c'est le moment où, la création entièrement jugulée, il fêtera son triomphe, apothéose fatale, victoire à laquelle il ne survivra pas. Le plus probable est qu'il disparaîtra avant d'avoir réalisé toutes ses ambitions. " (Cioran). La dynamite Macron, première partie.
Depuis la fin de la " primaire de la droite et du centre" et l'abandon du Président François Hollande, la candidature de l'ancien ministre Emmanuel Macron (39 ans) semble bien tourner : une vague d'adhésions et de soutiens, les défauts d'une primaire PS particulièrement pitoyable, des meetings bondés et des sondages qui décollent. Ce qui pouvait sembler insensé en avril 2016 pourrait devenir réalité : arriver au second tour de l'élection présidentielle... et même le remporter !
La bulle n'a pas encore éclaté. Elle n'éclatera peut-être jamais. Le dernier virage à négocier sera à la fin de la primaire PS en fin janvier 2017 : l'intérêt d'Emmanuel Macron serait évidemment une très faible participation à la primaire socialiste et la désignation de Benoît Hamon (pour rester sur des candidats qui se terminent par -on !) ou encore d' Arnaud Montebourg. En revanche, la désignation de Manuel Valls rendrait plus compliquée la campagne d'Emmanuel Macron.
1. Du talent, du travail et de la chance
Comme on le sait, la réussite d'une entreprise est toujours liée à trois causes : le talent, le travail et la chance.
Le talent, Emmanuel Macron l'a évidemment : brillant intellectuellement, et c'est prouvé par ses diplômes et sa trajectoire prestigieuse (assistant du philosophe Paul Ricœur, inspection des finances, banque Rothschild, Élysée, ministre), il a également un réel charisme, celui de savoir parler aux foules, celui aussi d'être décontracté, pas comme Valéry Giscard d'Estaing (lui, c'était de la condescendance spontanée), mais une décontraction faite de simplicité, sans protocole, sans faste qui alourdit les fonctions, et enfin, chose très rare en politique, il écoute.
Le travail, il est là, à l'évidence. Il a su créer ex nihilo un nouveau parti, de nouveaux militants, une nouvelle structure, de nouvelles énergies pour sa campagne. Le risque, évidemment, c'est le destin de " Désirs d'avenir" ou du MoDem, à savoir que ce parti soit beaucoup trop lié à la personnalité de son fondateur. Le désastre annoncé du PS pourrait faire un transvasement avantageux vers En Marche. Le travail, c'est aussi d'écouter les Français, de penser que la solution vient par la base et pas par la "France d'en haut" (selon la formule de Jean-Pierre Raffarin), c'est l'humilité de dire que tout élite qu'il est, il doit écouter avant tout ceux qui sont sur le terrain, qui connaissent les choses (ses propositions sur l'école en sont un très bon exemple).
Enfin la chance, qu'Emmanuel Macron a su saisir dès le début : il a créé son mouvement en avril 2016 quand le pouvoir socialiste stagnait déjà dans l'impopularité, mais il a eu la bonne stratégie d'annoncer sa candidature avant la décision de François Hollande et aussi, avant la désignation de François Fillon. Sa candidature est donc une aventure personnelle, indépendante en théorie du contexte politique, même si elle en bénéficie beaucoup. L'absence de leadership du PS avantage à la fois Emmanuel Macron et Jean-Luc Mélenchon. Le calendrier tardif de la primaire socialiste avantage aussi Emmanuel Macron. Alors que la campagne de Manuel Valls pédale dans la semoule, celle d'Emmanuel Macron s'envole.
2. Une force militante exceptionnelle
Incontestablement, Emmanuel Macron a eu raison de ne pas participer à la primaire du PS, son mouvement a une force militante nettement plus imposante que le PS qui a pourtant la majorité à l'Assemblée Nationale, le gouvernement et l'Élysée...
Ces nombres ne signifient cependant pas grand chose pour l'élection présidentielle. Ils permettent à Emmanuel Macron de se convaincre qu'il a eu raison de partir en loup solitaire. Mais ils sont loin des 10 à 20 millions d'électeurs qu'il faudra probablement pour atteindre le second tour de l'élection présidentielle de 2017. D'ailleurs, beaucoup des participants à ses meetings sont venus plus par curiosité (car Emmanuel Macron fait partie des "curiosités" du paysage politique actuel) que par ferveur et enthousiasme.
Quant aux sondages, comme Emmanuel Macron est aux portes des deux "camps" du clivage gauche/droite que tout le monde fustige (souvent avec raison), il est assez normal que des électeurs de "l'autre camp" le trouvent sympathique sans pour autant aller jusqu'à ...voter pour lui. Des légions de personnalités populaires gisent massivement dans ce cimetière des présidentielles françaises : JJSS, Pierre Mendès-France, Raymond Barre, Simone Veil, Jacques Delors, Michel Rocard, Édouard Balladur, Jean-Louis Borloo, François Bayrou, Dominique Strauss-Kahn, Nicolas Hulot, Alain Juppé, etc.
On me dira que 140 000 adhérents, ce n'est pas la solitude, mais cela reste pourtant une aventure personnelle. De nombreux élus locaux ont d'ailleurs reçu de la "retape" pour faire partie de l'aventure : l'objectif d'Emmanuel Macron est d'obtenir en début février 2017 plus de mille parrainage de maires (le double du nécessaire).
De plus, les déboutés de l'investiture aux élections législatives de leur parti (PS, PRG, EELV, mais aussi MoDem, UDI, LR, etc.) pourraient aussi être tentés par une seconde chance en se frottant au sillage de la vague Macron qu'ils espéreraient alors entraînante.
En fait, même pas ! Les ralliements sont tellement nombreux parmi les élus socialistes que les responsables d'En Marche insistent beaucoup : pas question d'accepter les ralliements après le 29 janvier 2017, c'est-à-dire, après la primaire socialiste. Pas question que le soutien à Emmanuel Macron soit le plan B de députés socialistes sortants paniqués à l'idée d'être battu en juin prochain. Donc, aucune investiture aux élections législatives ne sera attribuée après le 29 janvier 2017.
Les rapports de forces ont changé en un mois puisque lors de la convention nationale des investitures du PS le 17 décembre 2016, le secrétaire national aux élections Christian Borgel avait menacé les députés PS : " Tous les candidats ont reçu copie d'un courrier du président de la commission nationale des conflits qui est un rappel statutaire et qui dit quelque chose de simple : être candidat socialiste aux législatives, c'est soutenir le candidat socialiste à l'élection présidentielle. ". Cette mise en garde pourrait concerner une quarantaine de députés PS...
3. Faire vivre la machine Macron
Plus de 100 000 adhésions électroniques et des milliers de réunions sur tout le territoire, c'était justement le démarrage du MoDem en 2007 et 2008, dans le sillage d'un autre loup solitaire, François Bayrou. On a vu ce que cela a donné. Mais à la différence de François Bayrou, qui a aiguisé sa vision et ses convictions au fil d'une longue expérience, on ne sent aucune colonne vertébrale régalienne chez le candidat Emmanuel Macron.
Bien sûr, il a une certaine vision de la vie économique et sociale, qui provient tant de son expérience de banquier que de ses travaux auprès du philosophe Paul Ricœur. Il est pour l'ouverture vers le monde, tant économique que social et même "sociétal" (vilain mot). C'est un vrai libéral, au sens de libertés, au sens du XIX e siècle.
Mais cette vision se limite à cela. Elle se limite, parce qu'il n'a pas fait "carrière" en politique (au contraire de ses nombreux concurrents), à redécouvrir le monde de la politique en ressortant de vieilles ficelles... qu'on retrouve dans la plupart des propositions "concrètes" d'Emmanuel Macron.
Au contraire du MoDem de François Bayrou, Emmanuel Macron semble respecter un peu mieux ses militants. Certes, comme au MoDem, tout est décidé par lui et lui seul (investitures, thèmes, meetings, etc.), ce qui donne une idée du degré de renouveau qu'Emmanuel Macron peut porter.
Il est toutefois capable d'égayer ses plus jeunes militants (ils seraient plus de 8 000 en France), au point parfois de les infantiliser, comme le montre par exemple un courrier envoyé peu avant Noël 2016 où "l'Équipe d'En Marche" a énuméré très sérieusement cinq propositions pour donner du contenu aux militants convaincus et leur permettre de discuter et convaincre la famille pendant les fêtes de fin d'année (sur la durée du temps de travail, sur la santé, etc.).
Et puis, à la ligne qui suit la cinquième proposition, on pouvait lire : " Des débats, c'est bien. Mais avec des cadeaux, c'est mieux ! Voici le nôtre pour vous : la boutique de goodies En Marche est désormais en ligne ! " et juste après, on pouvait comprendre ce qu'étaient des "goodies" : " Pulls, t-shirts, tote bags, tous les articles sont fabriqués en France et en Europe par une start up française. Mais plus qu'un article siglé "En Marche", vous pouvez (vous) offrir un objet personnalisé à votre nom ou celui de votre ville ! ".
Comme on le voit, la comparaison qu'Emmanuel Macron s'était permise avec Donald Trump, juste après son élection surprise, avait peut-être un sens : la politique n'enlève pas le sens des affaires... Bon, je suis "mauvaise langue" puisqu'il était ensuite précisé : " Nous ne percevons aucun fonds sur cette activité. ". Mais alors, à qui ce commerce profite-t-il donc ?
Dans les deux prochains articles sur Emmanuel Macron, je proposerai le classique tableau forces et faiblesses de sa candidature.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (19 janvier 2017)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Emmanuel Macron va-t-il dynamiter la présidentielle 2017 ?
Ramasse-miettes du système politique français.
JJSS, un Macron des années 1970.
Le Centre aujourd'hui.
Manuel Valls.
Bernard Cazeneuve.
François Hollande.
Primaire socialiste de 2016.
Une colombe dans un nid de crocodiles.
Hollande démacronisé.
Michel Rocard.
Populismes.
Mystère ou Mirage Macron ?
Discours d'Emmanuel Macron le 8 mai 2016 à Orléans (à télécharger).
La vivante énigme d'Emmanuel Macron.
Le saut de l'ange.
La Charte de En Marche (à télécharger).
Emmanuel Macron à "Des paroles et des actes" (12 mars 2015).
La loi Macron.
François Bayrou.
Casser le clivage gauche/droite.
Paul Ricœur.
La France est-elle un pays libéral ?