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(Note de lecture) Ariane Dreyfus, Le dernier livre des enfants, par Jean-Pascal Dubost

Par Florence Trocmé

DreyfusPour entrer dans ce nouveau livre d’Ariane Dreyfus, il faut passer le premier poème, le lire et relire à la fin de pousser le portail d’un tombeau (le livre) qui ne demande qu’à être ouvert pour laisser sourdre, telle une cornucopia, une abondance de vie ; la difficulté tient de la terrible beauté de ce poème :
J’écris parce que je vais disparaître
C’était là
Ma fille assise dans l’escalier, je la regarde entre les barreaux
Ne bouge pas
J’aime continuer
L’importance de se regarder
Sans doute
Le visage en veut un autre
Les tout petits, ne plus rien dire
Ainsi la nuit si j’entends le chat manger enfin,
Lui si maigre, je sais qu’il bouge son menton aux os fins
Il a besoin de manger, nous oubliant
Pendant que la nourriture craque entre ses dents
Les craquements, si on voulait, on saurait où c’est
Passer entre les barreaux, les frôler
Sans se faire peur
Surtout quand un animal tourne sa tête, hésite,
Puis retourne à son bol où il reste de la solitude

Dans ce poème sont reliées la mort et l’enfance, filées ensuite par le long du livre, et que la poète s’évertue à relier d’un fil ; lequel poème d’ouverture est relayé plus loin par ce vers isolé « Poésie : bracelet pour ne pas disparaître », emprunté à un enfant nommé Ian ; un leitmotiv rythmant l’ensemble : « Pour ne pas mourir »; tout tient à un fil ténu. De cette manière, les titres des sections paraissent comme des points de couture du lien qui file : « Crépuscule », « Nocturnes », « Parce qu’il reste des jours », « Avant le soir », « Poèmes pour que l’air passe », où se lit la lutte entre la fin et le commencement, se lit ce qui refuse de disparaître. Le premier vers, « J’écris parce que je vais disparaître », tombant comme le couperet d’une sentence, paraissant fermer le livre avant que de l’ouvrir, induit une fatalité (comme le titre de l’ouvrage, à l’écho prophétique), une fatalité à l’encontre de laquelle Ariane Dreyfus avance par le moyen de l’écriture poétique, celle-là par quoi elle peut retrouver dans l’enfance des autres, et dans son enfance fictive (réinventée), des sources de vie. Lisant Ariane Dreyfus, on a le sentiment d’une enfance éternelle, et éternellement vivante. L’enfance (ses enfants, nommés souvent, ainsi que moult autres) et la poésie, deux legs que la poète entend faire à la vie après. Les poèmes, les enfants, n’est-ce pas au fond ce que compare Ariane Dreyfus ? En citant Frank Venaille, entre autres : « Les poèmes sont comme des frères orphelins qui appellent leur père dans la nuit. Ils sont semblables, ils se connaissent et se haïssent, ils se regardent avec tendresse et méchamment. Chacun appelle dans son coin et de cette plainte collective monte une mélodie qui devient celle du livre ».
Depuis Les Miettes de décembre2 c’est en revêtant peau d’enfance qu’Ariane Dreyfus visite le monde adulte et sa réalité, vêtue de cet âge d’homme à l’imaginaire sans frontières qu’elle puise une matière qu’elle rapporte par contes et comptines passés par ses transformations d’adulte (et amoureusement entrelacés avec les arts littéraires, cinématographiques, plastiques, chorégraphiques), en en conservant le merveilleux et le féérique de l’inquiétude ; car les contes sont inquiétants, et les comptines sont destinées à chasser les inquiétudes. La poète rêve éveillée de la mort, qu’elle transforme en conte pour adulte, à sa manière, fine et allusive, usant des blancs et des non-dits pour faire entendre son écho lointain et menaçant. Car, discrète, l’idée de la mort est omniprésente dans ce livre, et le poème aurait cette vocation de chasser son ombre, du moins, de la repousser. L’effroi est permanent : « On n’entre pas dans la mort on y disparaît » ; de là, voire, la volonté du legs d’enfants et de poèmes à la vie.
Ne pas disparaître est l’injonction que s’adresse la poète.
Tout dans les poèmes de ce livre est mouvement, courses désespérés mais enthousiastes vers quelqu’un, adulte ou enfant. Ariane Dreyfus écrit avec, écrit vers, les autres, « Et moi, en écrivant je ne quitte personne ». L’ensemble est parsemé de vers ou de distiques qui agissent comme des fulgurances de vie, « À chaque minute j’arrive à arracher une minute/De vie étonnée », offertes. C’est un livre mélancolique, mais pas sombre. Évoquer la mort, ce n’est point faire œuvre morbide, et si la présence de la danse dans les poèmes crée un lien avec les danses macabres médiévales, parce que la poète danse avec l’idée de la mort, c’est une célébration de la vie, qu’on lit. Une danse toujours au bord du gouffre, funambule :
Je ne sais pas quand
Le dernier poème
Je me penche au bord de
Chaque jour

Et quand le livre semble en son achèvement, il ne l’est pas, aussi, les poèmes sont suivis d’un péritexte conséquent (pour que de l’air passe encore ?), suivis d’une mention des « Sources, si vives, d’inspiration », puis d’un « Chantier de poèmes » (dans lequel Ariane Dreyfus travaille, à force de retravail et de ratures, son horreur de l’excision, cette blessure violente et insupportable infligée aux femmes et à la vie), qui est suivi de « Notes », et enfin, de remerciements. Pour ne pas finir.
Parce qu’il y a une page devant moi
Je ne veux pas fermer les yeux
Si je tâtonne, si je suis assez lente,
Le poème ira quelque part

[…]
Va poème, va

On ne refusera pas d’être ému par cette voix qui dit avec douceur et tendresse la peur de la mort.
 
Jean-Pascal Dubost

1Ariane Dreyfus a animé un atelier d’écriture autour de la phrase de Patrick Dubost : « Pour ne pas mourir », extraite du livre Cela fait-il du bruit (Voix éditions, 2005)
2 Les Miettes de décembre, Le Dé Bleu, 1997
Ariane Dreyfus, Le dernier livre des enfants, Flammarion, 16€


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