Partant de son essai Un objet culturel non identifié paru en 2006, Thierry Groensteen fait le point sur les changements et évolutions de la bande dessinée depuis 10 ans.
Ainsi, l'auteur aborde la question des maisons d'édition consacrées à la bande dessinée, dont le nombre a littéralement explosé. Cela a des effets positifs puisque les opportunités sont plus nombreuses pour les auteurs et que l'on assiste à une augmentation du nombre d'albums publiés. Pourtant, cette surproduction est néfaste en terme de qualité et entraîne une diminution générale des ventes. Si les petites structures abondent, nombre de maisons connaissent aussi fusions et rachats. C'est ainsi que la Belgique a perdu trois piliers de sa bande dessinée : Dupuis, Le Lombard et Casterman.
Pour redynamiser les ventes, les maisons d'édition exploitent sans vergogne le filon (très rentable) des rééditions. Les "classiques" sont rajeunis, augmentés, commentés... comme en témoigne la récente et très controversée colorisation de Tintin au Pays des Soviets d'Hergé. La reprise de séries à succès par d'autres équipes quand survient la retraite ou le décès de leur créateur en est un autre exemple. Tout comme la pratique du "dessinateur invité" qui revisite un personnage emblématique le temps d'un album, parfois au mépris de ce qui fait l'essence de ce personnage.
Au rayon des évolutions, on assiste à un déplacement de la bande dessinée vers la non-fiction. La bande dessinée reportage, du réel, de vulgarisation, de transmission d'un savoir et le récit biographique se développent, ouvrant de nouvelles perspectives tant aux auteurs qu'aux éditeurs.
Par contre, si la BD numérique tend à se développer, il s'agit encore surtout de numériser des albums initialement conçus pour le papier que de créations numériques à proprement parler.
La muséification de la bande dessinée est aussi un sujet abordé par Thierry Groensteen. En effet, il ne vous a pas échappé que la BD s'expose de plus en plus dans les grands musées ou galeries spécialisées. Le marché de l'original a aussi beaucoup évolué, attirant les spéculateurs qui espèrent faire une plus-value rapide en se procurant des originaux qui se vendront à prix d'or lors de ventes aux enchères.
Finalement, en lisant cet essai, on se rend compte que la bande dessinée, quelle soit française ou belge, est devenue un produit comme un autre. Le rendement prend le dessus sur la qualité et l'originalité, alors que l a profession reste très fragile, tant pour les éditeurs que pour les auteurs, dont les conditions de vie sont particulièrement précaires.
Thierry Groensteen nous livre les dessous de la bande dessinée et nous fait découvrir un monde insoupçonné. La présentation est très pédagogique et compare intelligemment la bande dessinée telle qu'elle est pratiquée en France et en Belgique avec les comics américains et les mangas japonais, ce qui donne une dimension internationale à cet essai très intéressant.
Remerciement aux Editions Les Impressions Nouvelles et à Babelio pour cette découverte, dont je vous propose un aperçu (pdf).
La bande dessinée au tournait - Thierry Groensteen - Les Impressions Nouvelles - 2017