Non, non ! ne va point au Léthé, ni consommer
Le vin vénéneux de l’aconit aux fortes racines ;
Ne souffre pas non plus à ton front pâle le baiser
De la belladone, raisin vermeil de Proserpine ;
Ne te fais pas un chapelet des baies de l’if ;
Que ni le carabe ni le sphinx tête de mort
Ne soient ta lugubre Psyché, ni l’effraie duvetée
Une compagne à tes mystères douloureux ;
Ou l’ombre s’unira à l’ombre sommeilleuse
Pour noyer en ton âme l’angoisse qui veillait.
Mais quand du haut des cieux l’accès de mélancolie
Soudain s’abattra comme une nuée de larmes,
Redonnant vigueur aux fleurs qui ployaient,
Couvrant le vert coteau d’un suaire d’Avril,
Qu’une rose du matin rassasie ton chagrin,
Ou l’arc-en-ciel naissant de la vague et du sable,
Ou la profusion des globes de pivoines ;
Que si quelque courroux embellit ta maîtresse,
Tiens serrée sa main douce et permets son délire,
Buvant profond, profond dans ses yeux sans pareils.
Elle demeure en la Beauté – Beauté qui doit périr ;
Et en la Joie, dont la main à ses lèvres à lui
Pour toujours dit adieu ; auprès du douloureux Plaisir,
Un poison que sa bouche, comme une abeille, aspire ;
Oui, c’est dans le temple même des Délices
Que se cache l’autel de la Mélancolie :
Seul le voit celui qui d’une langue énergique
A son palais délicat fait éclater les raisins de la Joie :
Son âme goûtera de Mélancolie le triste pouvoir,
Appendue parmi ses nuageux trophées.
John Keats (traduction : Alain Praud)
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