❗ Article révélant la fin du film
Pour rappel, Nocturnal Animals est l’adaptation du roman Tony and Susan, publié par Austin Wright en 1993. L’histoire s’intéresse à Susan Morrow (Amy Adams), une galeriste d’art de Los Angeles qui s’ennuie dans l’opulence de son existence, délaissée par son riche mari Hutton (Armie Hammer). Alors que ce dernier s’absente, encore une fois, en voyage d’affaires, Susan reçoit un colis inattendu : un manuscrit signé de son ex-mari Edward Sheffield (Jake Gyllenhaal), dont elle est sans nouvelles depuis des années. Une note l’accompagne, enjoignant la jeune femme à le lire puis à le contacter lors de son passage en ville. Seule dans sa maison vide, elle entame la lecture de l’œuvre qui lui est dédicacée.
Avant toute chose, il me paraît bon de m’arrêter brièvement sur le titre du long-métrage. Concrètement, que désignent les fameux « Nocturnal Animals » ? Au détour d’une conversation avec son assistante, Susan nous apprend dans le film que c’est le terme employé par Edward pour la désigner, elle qui éprouve les pires difficultés à dormir la nuit. C’est d’ailleurs le titre qu’il a utilisé pour son ouvrage (qui, faut-il le rappeler, lui est personnellement dédié). En prolongeant la réflexion à partir des informations glanées dans le récit, il est toutefois possible de compléter cette définition en y ajoutant, notamment, la notion de tristesse et de regrets, Susan étant complètement rongée par les remords lorsqu’elle regarde la tournure que sa vie a prise. Enfin, l’incapacité à suivre et à exprimer ses sentiments peut aussi être considérée comme une caractéristique des « Nocturnal Animals » puisque Susan ne cesse de se définir comme une personne réaliste.
Nocturnal Animals traitant simultanément de plusieurs intrigues se déroulant à des périodes différentes, et n’ayant pas forcément toutes une nature réelle, je pense qu’il est absolument primordial d’avoir une parfaite vision globale des événements pour pouvoir appréhender au mieux toutes les subtilités du récit. D’un point de vue purement chronologique, trois intrigues se jouent ainsi sous nos yeux pendant près de 2 heures : celle illustrant les souvenirs de Susan, celle montrant sa découverte du roman et celle représentant l’histoire du roman.
Avant de rentrer véritablement dans le vif du sujet, il est important de préciser que l’ensemble du long-métrage est montré selon le point de vue de Susan. Le fait de retrouver Jake Gyllenhaal dans la peau de Tony n’a donc rien de très surprenant puisque Susan sait de source sûre qu’Edward n’écrit que sur lui. Comment donc imaginer une autre personne que lui pour incarner le héros ? D’autres éléments viennent, de surcroît, confirmer le fait qu’Edward écrit bien sur sa propre personne, et plus précisément sur sa rupture avec Susan. C’est le cas notamment de l’enlèvement et du meurtre de sa femme et de sa fille dans le roman, qui peuvent facilement être associés au départ et à l’avortement de Susan dans la réalité. Dans les deux cas, il est d’ailleurs intéressant de noter que le personnage reste totalement impuissant face à la menace, se montrant faible, comme la mère de Susan l’avait initialement prédit.
Pour la raison qui l’a poussé à envoyer le manuscrit à Susan et à ne pas se présenter au rendez-vous, l’explication est par contre un peu moins évidente. De prime abord, le motif de la vengeance s’impose assez naturellement. Non seulement parce que le personnage a toutes les raisons de l’univers de vouloir se venger après ce que Susan lui a fait endurer, mais aussi, et surtout, car le film distille plusieurs indices sans équivoque tout au long du récit. Outre la toile arborant le mot « revenge » dans la réalité, on retiendra bien évidemment la vengeance viscérale de Tony dans le roman. Et quelle meilleure façon pour Edward de se venger de son ex-femme qu’en lui offrant l’espoir d’un nouveau départ avant de la (ré)abandonner ensuite à son monde de solitude et de vide ? Ne pouvant pas connaître la situation actuelle de Susan, je doute cependant qu’il ait vraiment voulu lui infliger une telle souffrance.
Selon moi, la démarche d’Edward va effectivement bien plus loin que la simple vengeance. Bien sûr, par ses actions (l’écriture du roman, l’envoi du manuscrit et l’absence au rendez-vous), il veut faire ressentir à Susan toute la douleur qu’elle lui a imposé en le trahissant de la sorte, et lui faire comprendre à quel point cet événement a conditionné tout le reste de son existence, mais l’objectif final est à mon sens davantage un cheminement personnel (nécessaire pour avancer) qu’une réelle envie de blesser l’autre. Malgré la violence de la rupture, celle-ci a quand même eu pour effet de l’endurcir et de le rendre meilleur écrivain. En ne se présentant pas au restaurant, il se prouve ainsi à lui-même, et surtout à Susan, qu’il n’est plus l’homme faible qu’il était autrefois. Après toutes ces années, il trouve enfin la force de la laisser partir, s’empêchant ainsi de devenir un « Nocturnal Animal », un être triste se réveillant la nuit avec des regrets et incapable d’évoluer.
Pour conclure, vous l’aurez compris, si Nocturnal Animals est un film pouvant tout à fait s’apprécier sans explication supplémentaire, il dispose néanmoins d’une richesse formelle et scénaristique qui offre une belle base de réflexion à tous ceux qui souhaitent prolonger l’expérience de visionnage. Certaines scènes, dont le dénouement final, ayant une vraie ambiguïté, n’hésitez surtout pas à réagir en commentaire si vous avez des questions, des remarques ou même, qui sait, une interprétation différente de la mienne.