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(anthologie permanente) Jim Harrison, "Cinquante-sept ans durant, j’ai tout compris de travers"

Par Florence Trocmé

Les éditions de la Table Ronde publient dans leur collection La petite Vermillon un livre de poème de Jim Harrison, L’Éclipse de lune de Davenport et autres poèmes, édition bilingue, traduction de l’américain de Jean-Luc Piningre.
« Pour écrire un poème, vous devez d’abord fabriquer un crayon qui écrira ce que vous voulez dire. Pour le meilleur et pour le pire, ceci est l’œuvre d’une vie ».
Ce livre est le neuvième recueil de poésie de Jim Harrison. Jim Harrison est mort le 26 mars 2016.
Le temps se rétrécit au fond de la nuit.
Le Christ est mort il y a quelques jours, mon père
et ma sœur, juste avant le déjeuner. À l’aube
j’ai pêché, puis sarclé le maïs. Marié la matinée,
pleuré une seconde. Nous fûmes un instant pauvres
le long d’une décennie. En quelques minutes j’ai fait
l’aller et retour à Paris. J’ai bu et dîné le temps d’un défilé
dans ma chambre. Un clin d’œil, et Red Mountain est toujours là.
Time gets foreshortened late at night.
Jesus died a few days ago, my father
and sister just before lunch. At dawn
I fished, then hoed corn. Married at mid-morning,
wept for a second. We were poor momentarily
for a decade. Within a few minutes I made
a round-trip to Paris. I drank and ate during a parade
in my room. One blink, Red Mountain's still there.

/
Partout sur mon chemin j’étudie les balafres du visage de la terre,
fleuves et lacs y compris. Sans jouer à être Dieu,
j’évalue les desseins. Se dire dans les montagnes de Patagonie :
« minuscules mines, morts misérables ». À Cabeza Prieta
des hommes ont bouilli dans leur propre sang, température au sol 77°.
Tissu terrestre troué de longues traînées d’avion, ruisseaux puant le soufre.
Or et cuivre pour payer le cheval décédé, la femme disparue.
Everywhere I go I study the scars on earth's face,
including rivers and lakes. I'm not playing God
but assessing intent. In the Patagonia Mountains
you think, "small mines, pathetic deaths." In Cabeza Prieta
men boiled in their own blood, ground temperature 170°
Contrails of earthen scar-tissue stink of sulfur.
Gold & copper to buy the horse that died, the woman who left.
/
J’ai mis fin à mes jours parce qu’on m’a sans cesse estropié,
pris à rebrousse-poil, que la main-d’œuvre et les pièces me coûtaient trop d’argent.
Cinquante-sept ans durant, j’ai tout compris de travers
jusqu’à ce que j’examine l’envers du miroir.
Pas de naissance sans mort. Ça marche dans l’autre sens.
Quel plaisir de descendre de cheval au beau milieu du lac.

Took my own life because I was permanently crippled,
put on backward, the repairs eating up money and time.
For fifty-seven years I've had it all wrong
until I studied the other side of the mirror.
No birth before death. The other way around.
How pleasant to get off a horse in the middle of the lake

Jim Harrison, L’Éclipse de lune de Davenport et autres poèmes, traduction de l’américain de Jean-Luc Piningre, édition bilingue collection La petite Vermillon, éditions de la Table Ronde, 2016. pp. 52/53, 84/85 et 128/129
bio-bibliographie de Jim Harrison


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