Si je ne peux résister chaque mois de janvier à l’envie de dresser la liste de mes films préférés de l’année écoulée, il m’est toujours aussi difficile de me cantonner à la limite arbitraire d’une liste de 10 films. Cette année plus que les autres encore (en tout cas depuis longtemps), beaucoup d’autres films méritent d’être mentionnés. J’ai vécu l’année cinéma 2016 comme une grande année, et le nombre de coups de coeur n’a cessé de s’allonger au fil des mois. Je m’en rends bien compte lorsque je vois le nombre de films chers à mon coeur que je n’ai pas pu faire tenir dans ce Top 10. “Midnight Special”, “Le garçon et la bête”, “Manchester by the sea”, “Demolition”, “Juste la fin du monde”, “Kaili Blues”, “Carol”, “Zootopie”, “Diamant noir”, “Anomalisa”, “Love & Friendship”, “La tortue rouge”, “Brooklyn”, “Fais de beaux rêves” ou “Mistress America” auraient probablement pu figurer dans un de mes tops une autre année.
Mais voici les 10 que j’ai retenus parmi ceux sortis en salles en France en 2016.
1. Les 8 Salopards Je n’avais pas ressenti une telle jubilation devant un film de Quentin Tarantino depuis “Pulp Fiction”. Personnages diablement écrits, dialogues au diapason, mise en scène explosive, “Les 8 salopards” a été un régal de chaque instant pour moi. La jubilation faite film. Le film de Tarantino est une montagne russe cinématographique qui repose entièrement sur les bases du cinéma : des personnages, des séquences, des dialogues. Peu de cinéastes sont capables d’écrire des scènes aussi longues avec une telle intensité et un cadre aussi simple qu’une poignée de personnages dans un lieu quasi clos. Et d’être capable, entre les lignes, de parler de l’Amérique contemporaine. Ça, c’est du cinéma.
2. Les délices de Tokyo J’ai souvent eu du mal à entrer dans le cinéma de Naomi Kawase. Ma surprise fut grande de sortir aussi bouleversé de son nouveau film, qui pourtant dans son premier acte semblait annoncer une oeuvre d’une douce simplicité, mais qui à mesure que son récit avance progresse vers une profondeur confondante. C’est la grâce et l’émotion qui dominent cet immense film sur la vie qu’est “Les délices de Tokyo”. Un film qui utilise les silences avec une précision incroyable, et tisse des instants de cinéma sensoriels et poétiques.
3. Premier contact Denis Villeneuve n’a pas cessé de me surprendre. Le réalisateur québécois a le don de m’électriser, après “Incendies” et “Prisoners” qui eux aussi figuraient en leur temps parmi mes préférés de l’année, et les non moins excellents “Enemy” et “Sicario”. Ici, il dresse un superbe portrait de femme en déjouant nos attentes d’un film de SF. Comme toujours, Villeneuve maîtrise à la perfection l’intangible. Il utilise les ellipses et les moments de silence, sans dialogues, comme peu de cinéastes savent le faire, pour tisser un film sur le temps, et comment celui-ci anime notre rapport au monde, et aux autres.
Je n’ai toujours pas réussi à déterminer si le film de Maren Ade est une comédie triste ou un drame hilarant. Il est pourtant si rare de se trouver, comme devant “Toni Erdmann”, rire autant que pleurer dans un même film. Je ne comprendrai jamais comment un film si ambitieux, si observateur, si juste, si tendre, si féroce a pu repartir de la compétition cannoise sans le moindre prix. Qu’importe, le plus important, c’est que la réalisatrice nous ait offert un si grand film sur la vie, et la nécessité d’insuffler de la joie dans le quotidien de ceux qui ne parviennent pas à en mettre par leurs propres moyens. Mon coeur a tressauté de bonheur et d’émotion grâce à Toni Erdmann.
5. Un jour avec, un jour sans Je sais ce que vous allez me dire, vous qui n’aimez pas Hong Sang-soo. “Mais non, il fait toujours le même film !”. Pourtant si ses films se ressemblent parfois, ne voir que des copies conformes d’un film à l’autre c’est nier l’art narratif du cinéma. Car HSS est bien un artiste de la narration, et il le prouve, peut-être plus que jamais, avec “Un jour avec, un jour sans”. Il creuse de film en film son talent de conteur qui n’a pas beaucoup d’équivalent dans le cinéma contemporain. Ici, à la manière d’Alain Resnais avec Smoking et No Smoking, mais en un seul film, HSS suit deux fois les mêmes personnages dans les mêmes situations, mais en tire deux récits bien différents, déambulations tantôt comiques, tantôt poignantes. Du grand cinéma.
6. Aquarius Kleber Mendonça Filho confirme, après “Les bruits de Recife”, quel grand cinéaste il est déjà. Qui, cette année, a mieux filmé que lui le temps qui passe et s’insinue dans les sentiments des hommes et des femmes, d’une douce mélancolie au renforcement des caractères ? Personne. Dès le premier acte, on devine que l’on est embarqué dans un film qui va laisser des traces. Dès la jeunesse de cette femme belle et charismatique, que l’on va suivre ensuite à l’automne de la vie. C’est un magnifique portrait de femme, comme beaucoup des meilleurs films de l’année, et c’est un rôle inoubliable pour Sonia Braga, qui méritait un Prix d’interprétation à Cannes pour ce beau film lui aussi injustement oublié.
7. Comancheria L’un des portraits de l’Amérique les plus forts de l’année est réalisé par un cinéaste britannique, David MacKenzie. Qui plus est, il utilise un genre américain par excellence, le western (certes moderne). “Comancheria” appelle à lui un pan classique du cinéma, avec cowboys, indiens et hors-la-lois, pour mieux parler de l’Amérique de 2016 entre amertume, colère et danger. Traversé de touches de bonhomie qui rendent le film particulièrement humain, “Comancheria” trace son chemin, bourru et attachant à l’image des acteurs Jeff Bridges et Ben Foster, et nous touche au plus profond.
10. Everybody wants some ! Être cool et émouvant, sur le papier, ça ne paraît pas évident, pourtant le film de Richard Linklater est la coolitude incarnée, et il apporte tellement plus qu’une simple tranche d’humour que c’en est presque insolent. Le tour de force du film, surtout pour un public qui n’a jamais connu la vie sur un campus américain dans les années 80, c’est de nous rendre nostalgique de quelque chose que l’on a pas connu, de nous transporter dans un état de grâce jamais expérimenté. Il donne vie à ses personnages avec une force jubilatoire, et insuffle en nous un état d’esprit délicieux. Une joie que l’on voudrait voir transpercer l’écran. Qui l’a transpercé, en fait.