Après vous avoir présenté en détail les peintres du XXe siècle à nos jours de la Russie soviétique et de l’Ukraine, voici ceux des Pays Baltes qui, durant cette période, furent la moitié du temps (jusqu’en 1918, puis de 1944 à 1991) sous domination Russe.
Mais d’abord, un peu d’histoire :
Après la défaite suédoise dans la Grande Guerre du Nord, la Livonie (Estonie et Lettonie) est incorporée dans l’empire russe (1721 : traité de Nystad). Néanmoins, par souci d’efficacité, les barons germano-baltes, issus pour beaucoup de l’Ordre Teutonique, mais passés pour la plupart à la Réforme protestante, continuent à exercer leur emprise sur les sociétés baltes pour le compte de l’Empire russe et gardent leur immenses propriétés foncières. En 1795, lors du troisième partage de la Pologne, la Lituanie est, elle aussi, rattachée à la Russie.
Les nations baltes retrouvent leur liberté après la Première Guerre mondiale. Elles ont, au départ, de grandes difficultés à faire reconnaître leur indépendance par les Alliés qui préfèrent ménager une victoire possible de la Russie « blanche » contre les Bolchéviques. La victoire de plus en plus évidente des communistes pousse les puissances occidentales à accepter les indépendances baltes comme un « cordon sanitaire » en Europe.
Les trois États baltes deviennent indépendants entre 1918 et 1920. Ce sont à l’origine des républiques démocratiques avant devenir suite à des coups d’Etat des régimes autoritaires (Lituanie, 1926, Lettonie et Estonie, 1934). Alors que beaucoup de contemporaines pensaient à l’origine ces Etats comme non-viables, les dirigeants parviennent à stabiliser la situation économique et sociale des nouveaux Etats. Si le niveau de vie reste faible, les réformes agraires radicales aboutissent à la création d’une couche de petits et moyens propriétaires assurant la stabilité du pays.
En 1934, est signé le traité d’Entente baltique affirmant la volonté des trois États de défendre leur identité et leur autonomie par rapport à l’URSS et à l’Allemagne et d’affirmer au contraire leur appartenance au système international de Genève (Société des Nations).
Le 23 août 1939, l’URSS signe avec le Troisième Reich le pacte germano-soviétique, dont les protocoles secrets délimitent les « zones d’influence » des deux puissances. Lorsque l’Allemagne nazie envahit la Pologne, ce qui déclenche la Seconde Guerre mondiale, l’URSS envahit le reste de la Pologne et les États baltes.
Plusieurs déportations sont organisées par le pouvoir soviétique dans les pays baltes entre 1940 et 1949. On estime entre 200 000 et 300 000 le nombre total des personnes victimes de la première déportation (1940-1941), et à près de 100 000 pour la seconde déportation (1944-1949).
Dans les trois occupations successives des pays baltes et des autres territoires concernés par le pacte germano-soviétique (soviétique en 1940-1941, nazie en 1941-1944 et à nouveau soviétique après 1944), les clivages ethniques et religieux ont joué un rôle tragique : les communautés, qui vivaient globalement en paix sinon en bonne entente auparavant, furent dressées les unes contre les autres par les occupants successifs. Lors de la première occupation soviétique, des catégories de citoyens jugés « nuisibles » (anciens fonctionnaires – en priorité les enseignants, juristes, policiers et militaires -, les prêtres, les professions libérales, les propriétaires de biens immobiliers, de production et de terre) sont déportés avec leurs familles vers le Goulag. Un an plus tard, les occupants nazis accusent l’ensemble des juifs baltes, sans distinction, d’être « bolchéviques » et responsables des déportations soviétiques, incitant les populations chrétiennes locales (sortant d’un an de terreur rouge) à rechercher, arrêter et livrer les juifs locaux : ceux-ci sont massacrés avec leurs familles en une « Shoah par balles », moins connue que celle d’Europe occidentale et centrale, mais non moins meurtrière (environ deux millions de victimes en URSS dont cent cinquante mille dans les pays baltes).
Redevenus soviétiques de facto en 1944, les pays baltes restent annexés par l’Union soviétique jusqu’en 1990, devenant des républiques de l’Union. Mais, contrairement aux autres annexions soviétiques des années 1939-1945, l’annexion des pays baltes n’est pas reconnue internationalement et les trois pays sont considérés par l’ONU comme des territoires occupés.
C’est en 1986, avec la politique de glasnost de Mikhail Gorbatchev, que des groupes d’opposition baltes commencent à réclamer l’indépendance de ces pays, à demander des explications sur l’annexion dont ils ont fait l’objet en 1940 et à dénoncer l’absence de légitimité de la domination soviétique.
À la fin de l’été 1989, des dizaines de milliers d’Estoniens, Lettons et Lituaniens, de Tallinn à Vilnius, en passant par Riga, forméent sur 560 kilomètres un cordon de solidarité et de protestation pour dénoncer le pacte germano-soviétique annexant cinquante ans plus tôt les pays baltes à l’URSS, et affirmer tous ensemble leur volonté d’indépendance nationale. Mais ce n’est qu’en février-mars 1991, que des consultations officielles sont organisées, montrant la forte mobilisation des Baltes pour leur indépendance : 90 % en Lituanie, 77 % en Estonie et 73 % en Lettonie. L’échec du putsch soviétique d’août 1991 – où la ligne dure des communistes ne parvient pas à prendre le pouvoir – permet aux pays baltes de déclarer leur indépendance politique, que de nombreux pays occidentaux s’empressent de reconnaître. Ayant perdu toute marge de manœuvre, Moscou se voit obligé de suivre le mouvement et reconnaît leur indépendance le 4 septembre 1991, trois mois avant que ne disparaisse l’Union soviétique.
Depuis 1991, la volonté politique partagée de ces trois pays est de tourner le dos à la sphère d’influence russe pour ancrer définitivement les pays baltes au sein du monde européen. Ceci s’est traduit par la candidature à une adhésion à l’Union européenne. Les trois pays baltes se sont prononcés positivement par référendum en 2003 sur leur adhésion, qui a eu lieu le 1er mai 2004.
L’Estonie
La peinture Estonienne reprend grosso modo les caractéristiques des peintures russes, soviétiques et ukrainiennes (voir dans les articles que je leur ai consacrés ici et ici). La seule différence notable est un passage plus tardif au « réalisme socialiste » : après 1945 au lieu des années 1930 pour les pays déjà sous domination soviétique – et stalinienne. Deux tableaux emblématiques de cette période sont Le grain de l’État, de Viktor Karrus en 1953, et Allez-y les filles !, de Mihalis Korneckis en 1959.
L’Estonie a également connu deux périodes d’avant-garde : dans les années 1920, où l’art local veux s’aligner sur la norme internationale, et entre 1950 et 1980, pour maintenir la foi dans la liberté et chercher à empêcher la régression mentale de la nation – ce qui s’est largement exprimé visuellement par l’abstraction géométrique. Cette avant-garde implique un certain nombre d’artistes, tels que les membres du Groupe Art estonien des années 1920 – Märt Laarmann, Arnold Akberg, Henrik Olvi, Jaan Vahtra, Eduard Ole et, à partir des années 1960, Tõnis Vint, Raul Meel, Leonhard Lapin, Sirje Runge, Avo keerend, Jüri Kask, Siim-Tanel Annus, Vilen Künnapu et, en partie, également Kaljo Põllu, Aili Vint, Olav Maran. Ces artistes étaient intellectuellement connectés, en temps réel, avec les diverses tendances progressistes de l’art occidental du XXe siècle.
L’un des artistes les plus influents de l’art non-conformiste à Moscou était l’Estonien Ülo Sooster (1924-1970). Il a fait parti des nombreuses personnes déportées en Sibérie depuis l’Estonie en 1950, où ils ont subi les horreurs des camps de prisonniers. Après sa libération en 1956 et son mariage, il est resté à Moscou, où il a trouvé un langage commun avec de nombreux artistes russes indépendants, notamment Ilya Kabakov. Ce dernier a d’ailleurs écrit une monographie sur Sooster, le considérant comme un de ses mentors (le manuscrit a dû attendre des années avant d’être finalement publié en 1996).
Voici donc cette peinture estonienne du XXe siècle à nos jours, avec 132 peintres en autant de tableaux.