Les amateurs de badminton attendaient l’événement depuis des mois : l’affrontement final entre et le grand Khan et Marcel Moineau. Le choc de l’intelligence contre la brutalité, de la force contre la traîtrise, nouvelle expression de la lutte millénaire entre l’homme et le prof d’EPS !
Il était exactement 16h01 quand les portes du gymnase s’ébranlèrent avec fracas. Les chauves-souris apeurées s’envolèrent dans un tourbillon de cris et de poussières. Les témoins du Khan : Elwood “Tamerlan” et Jake “Kubilaï” s’avancèrent dans la pénombre et actionnèrent le système d’éclairage. Les murs gris et sales n’avaient pas vu la lumière depuis longtemps. Les témoins de Marcel: Marguerite Pontonnier et Calou “Brutus” s’avancèrent à leur tour, aussi peureux que leur maître.
Dehors, la nuit s’avançait à grands pas, malgré l’heure précoce. Les arbres balançaient avec un léger grincement. “Le vent gémissait à travers les feuilles ses notes langoureuses et le hibou chantait sa grave complainte, qui fait dresser les cheveux à ceux qui l’entendent.”
Quelques journalistes avaient fait le déplacement depuis l’étranger pour graver dans la pierre le récit de cette épopée. Il y avait un pigiste de la Guerche et un reporter de l’Asahi Shimbun venu spécialement de Tokyo.
Le Khan se dévêtit avec grâce de sa pèlerine écarlate qui s’abattit sur le sol dans un claquement sec. Il portait un short blanc et un haut noir dessiné dans les enfers. Marcel était habillé en blanc, sans doute un hommage au Bibendum Michelin.
Quand les deux adversaires eurent pris position, Elwood “Tarmerlan” posa devant lui un tambour de cérémonie qu’il frappa d’un rythme régulier. Au bout d’une minute, il s’arrêta net. Le Khan venait d’entamer le fameux Kapa o pango destiné a impressionné son adversaire et lui souhaiter la bienvenue.
Vous pouvez imaginer la danse complète en regardant cette vidéo.
De l’autre côté du terrain, Marcel n’en menait pas large. Il s’était mis à genoux comme un tout jeune enfant pour quémander la protection de Saint-Gustave, du Père Noël ou de Plastic Bertrand, qui sait ?
Après les rituels inauguraux, le Khan décida d’offrir l’engagement à son adversaire. Il s’agissait d’un geste chevaleresque inspiré du Comte d’Anteroche, déclarant à la bataille de Fontenoy : “Messieurs les Anglais, tirez les premiers.”
Alors que le Khan faisait demi-tour pour rejoindre son camp, Marcel engagea d’un geste rapide et précis. Le volant tomba dans le carré de service sans que le Khan put lever sa raquette. 1-0. Le noir seigneur se tourna vers son adversaire et le foudroya du regard : “Ainsi je mets à jour votre rouerie. Et bien, soit, je combattrai sans merci.”
Au deuxième engagement, l’effet de surprise ne jouait plus. Le Khan dégagea le volant d’un coup puissant qui envoya Marcel côtoyer les lignes du fond. À chaque échange, l’homme en blanc reculait un peu plus en tirant la langue tel un taureau de réforme à la porte des arènes. Quand il fut à point, le Khan décocha un puissant drive le long du couloir opposé…
Et son adversaire s’étala dans un couinement lamentable…
Le score était de 1 partout. Cependant, Marcel était marqué physiquement et moralement. Le Khan s’amusa un moment à le faire courir comme un lion qui joue avec une musaraigne. Les témoins de Bibendum s’étaient blottis dans un coin du gymnase en tremblant tandis qu’Elwood et Jake battaient les percussions en chantant la mélopée des steppes.
Marcel contre le Khan c’est l’affrontement de deux styles. D’un côté, le panache, la force, la maîtrise :
De l’autre…
Des couinements, des reculades, des plongeons apeurés : le fighting spirit des marais berrichons.
Le score se durcit rapidement en faveur du Khan. 8-1, 12-3, 16-5… De temps en temps, Marcel profitait d’une faute directe ou d’un lacet défait pour grappiller sournoisement un point ou deux. Parfois, il obligeait le Khan à se détendre sur le revers.
Hélas, la conclusion était rarement au rendez-vous car Marcel avait pris l’habitude de rouler sur le terrain pour se déplacer :
Quand il est sur le dos, comme ça, c’est mauvais signe. Cela peut lui prendre plusieurs minutes pour se remettre tout seul sur ses pattes.
Le premier set se conclut sur le score de 21 à 6. Marcel haletait en ouvrant des yeux tout ronds. Le malheureux ne comprenait pas ce qui lui arrivait. Le deuxième set commença sous les mêmes auspices. Le Khan bondissait aux quatre coins du terrain, alternant les amortis, les smashs, les lobs, les contre amortis. Marcel comptait les minutes en gémissant courant dans tous les sens dans le plus parfait désordre. Quand Jake annonçait le score, des larmes perlaient sur ses joues burinées de Marcel. Il se souvenait du temps joyeux, avant qu’il n’affronte le saigneur des steppes.
Le score était de 20 à 4. Le Khan allait servir pour le match. Marcel traînait un peu la patte en soufflant bruyamment. Il était temps de mettre fin aux souffrances de l’animal blessé. Sur l’engagement, Marcel recula aux dernières limites du terrain. Son bras commençait à fatiguer et son âme était lasse. Il renvoya un semi dégagement au milieu du terrain. Le volant s’envola comme une petite colombe virevoltant gaiment au dessus du filet. Le Khan s’éleva dans les airs comme un aigle royal fondant sur sa proie. Le regard fixe et les muscles tendus, il foudroya le volant qui partit dans une traînée de lumière.
Le bruit sourd réveilla les témoins de Marcel qui dormaient dans un coin du gymnase tandis que leur héros poussait un petit cri d’effroi. Dans la panique, il jeta sa raquette et leva les mains en signe de reddition.
Jake et Elwood poussèrent un grand hurlement de joie en frappant les percussions. Humble et magnanime, le Khan salua son adversaire avec respect : “Adieu guerrier illustre, ton courage dans le malheur inspire de l’estime à ton ennemi le plus acharné.”
Wataru Sawamura, correspondant de l’Asahi Shimbun fut un peu moins clément avec Marcel. “Dans mon pays, quand un joueur de Badminton joue comme ça, il se fait seppuku !” Marcel attrapa la main du Khan en pleurant: “Merci d’avoir été clément Ô maître des steppes du Berry. Dorénavant, chaque jour je me frapperai le poitrail en psalmodiant votre nom. Gloire au Khan !” Pendant ce temps, les témoins de Marcel s’étaient enfuis sans dire au revoir à personne. Marguerite semblait avoir peur de Jake et Elwood, arguant qu’ils ressemblaient à Bakounine. Calou, qui avait prévu d’affronter le Khan si Marcel était défait préféra prudemment rentrer chez lui en rasant les murs. Ainsi s’acheva la lutte entre l’homme et le Berrichon. Vae victis !
Publié à Bourges, le jour des faits à 16h59.