Le plateau est presque nu et le public y est installé, dans un dispositif dit "de petite jauge", qui permet une grande proximité avec les acteurs. La scénographie exclut tout élément de décor, de manière à pouvoir être installé partout, au théâtre comme dans la ville, dans des bibliothèques, dans des universités, des lycées, des centres sociaux ...
A jardin un tourne-disques comme on en a connu jusque dans les années 80 avec une pile de disques. A cour une chaise et une bouteille d'eau. Au centre une autre chaise devant un écran sur lequel quelques mots seront projetés, quoique rarement.
Maurin Olles avance simplement au devant des spectateurs et raconte ce qui aurait pu être un banal trajet en auto-stop (aujourd'hui on ne lève plus le pouce sur le bord d'une route, on s'inscrit sur Bla Bla Car). L'automobiliste, il en aura la confirmation le lendemain, se trouve être Michel Foucault.
Le jeune homme s'en doutait comme en témoigne ses paroles : L’écoute de mon conducteur n’était pas ordinaire, il me relançait, voulait des précisions. Arrivé aux lectures, il devint presque gourmand : ce que j’avais lu et aimé, lu et pas aimé, ce que je voulais lire. Son intérêt s’intensifia quand je racontai ma visite de la veille à la librairie Maspero et ce Pierre Rivière que j’avais longuement feuilleté. L’oeil était si joyeux que je lui demandai : "Ne seriez-vous pas Michel Foucault ?"
Thierry Voeltzel, car c'est de lui qu'il s'agit, nous fait partager son étonnement : "tout ce que je disais le passionnait, mes études de japonais, mon envie de militer, mes goûts, ma famille." Il met les spectateurs dans la confidence, comme avec les lecteurs de son récit, intitulé Vingt ans et après (Grasset, 1978), le seul livre qu'il ait d'ailleurs publié.
Vingt ans, c'était l'âge qu'il avait et qui plaisait beaucoup au philosophe : "C’était, je pense, l’été 1975. Je venais d’avoir vingt ans, parce que c’était à la fin du mois d’août. Michel a dit à Daniel : "J’ai rencontré le garçon de vingt ans." Ça lui plaisait beaucoup, le garçon de vingt ans."
Le prénom de Daniel revient souvent au cours de la soirée. Il s'agit de Daniel Defert, le compagnon de Michel Foucault pendant 25 ans et qui, après sa mort, du SIDA, a créé Aides.
Il est question d'homosexualité et de sexe. On pourrait se sentir voyeur. On pourrait aussi être choqué que l'amant ait l'âge du père de Thierry. Pourtant non, jamais. Sans doute parce que la parole est simple, évidente.
J’avais rencontré Michel en août 75 ; en octobre j’emménageai avec Gérard ; en septembre Leslie nous rejoignit. Je commençais à militer sur Belleville et progressivement abandonnais la fac. En 76, je fus embauché à l’hôpital Henri-Mondor et partageais mon temps entre l’hôpital à Créteil et le studio à côté de l’appartement de Michel. C’est cette année-là que nous avons commencé les entretiens pour ce livre. (...) Michel a retravaillé à partir des transcriptions faites des dialogues. Il a voulu reprendre des questions, revenir sur des choses qui lui semblaient essentielles, la famille, le travail... Pour la mise en forme du livre, Michel a pensé à une amie, Madeleine Laïk. Elle n’était pas disponible. C’est une de ses amies à elle, Mireille Davidovici, qui a tiré un livre de cette conversation.
Le livre ne rencontra pas le succès escompté. Michel Foucault avait cherché des anagrammes avec les lettres du patronyme de Thierry. C'est ainsi qu'il avait trouvé Letzlove qui est presque un jeu de mots. Thierry avait refusé ce titre, préférant publier sous son propre nom.
Pierre Maillet a eu l'excellente idée de s'atteler à ce texte qui est dit à la virgule près, en menant l'interview depuis la régie mais en s'autorisant aussi à descendre sur le plateau pour pousser Thierry à se livrer encore davantage.L'interprétation est excellente. La vérité historique est respectée et on perçoit parfaitement les enjeux sociologiques des années qui suivirent la Révolution (de 1968). On ressent ce qui a pu rapprocher et diviser les deux hommes, sans provoquer pour autant la moindre critique. On assiste en quelque sorte à une leçon d'écoute et ça fait du bien. La vitalité est une constante tout au long du spectacle.
Ce qui est dit à propos du fonctionnement des hôpitaux est purement abominable et néanmoins il est inutile de se voiler la face, les dysfonctionnements existaient et existent encore. J'en ai moi-même des preuves. Comme le dit Thierry : on répare en faisant des merveilles mais on fait pas de prévention.
Thierry Voeltzel est né en 1955. Ancien militant actif dans les mouvements homosexuels et maoïstes d’après-68, il vit désormais à Saigon au Viêtnam où il fabrique et commercialise du mobilier d’art.
Maurin Olles est sorti de l’Ecole de la Comédie de St-Étienne en juin 2015 après 3 années de formation sous le parrainage de Marion Aubert, où il a notamment travaillé avec Arnaud Meunier, Alain Francon, Matthieu Cruciani, Caroline Guiela Nguyen, Marion Guerreiro, Claude Mourieras... Il a également mis en scène un spectacle intitulé Jusqu’ici tout va bien présenté notamment au Festival d’Avignon 2015. Cette saison il a joué dans Un beau ténébreux de Julien Gracq mis en scène par Matthieu Cruciani et il sera au Festival d’Avignon 2016 dans Truckstop de Lot Vekemans mis en scène par Arnaud Meunier.
Metteur en scène, comédien, Pierre Maillet a suivi l’enseignement de l’Ecole du Théâtre National de Bretagne. Il est membre fondateur du Théâtre des Lucioles, compagnie conventionnée à Rennes. Letzlove-Portrait(s) Foucaultà partir du livre de Thierry Voeltzel, Vingt ans et après, réédité aux éditions Verticales en 2014mise en scène Pierre Mailletavec Maurin Olles et Pierre MailletAu Monfort 106 Rue Brancion, 75015 Paris - 01 56 08 33 88Du 5 au 21 janvier 2017 du mardi au samedi à 20h30En tournée ensuite du mardi 28 février au samedi 4 mars 2017, au CDN de Haute-Normandie à Rouen, puis du mardi 25 au jeudi 27 avril 2017, au Quartz-Scène Nationale de Brest
Les photos qui ne sont pas logotypées A bride abattue sont de Tristan Jeanne-Valès