La vitrine pourrait être celle d’un muséum d’histoire naturelle ou d’un présentoir consacré aux arts premiers. Il s’agit bien finalement d’anthropologie : Hans-Peter Feldmann dans son exposition à la galerie des Galeries Lafayette à Paris propose cette pièce précieusement protégée par les parois de verre : le sac à main d’une femme et son contenu étalé dans une disposition soignée. « Je ne m’intéresse pas aux moments forts de l’existence. Il n’y a que cinq minutes par jour qui soient intéressantes. Je m’attache à montrer le reste, la vie normale.»
Le contenu d’un sac de femme relève-t-il de la vie normale ? En s’attaquant à ce mystère, Hans-Peter Feldmann se confronte à un no man’s land impénétrable échappant aux règles élémentaires de l’organisation du quotidien. Avec ce voyage en terre inconnue, l’artiste délivre un moment fort dans ce droit d’inventaire auquel il se consacre depuis de nombreuses années. Le rapport aux objets du quotidien ne peut pas ne pas nous rappeler Georges Pérec qui, il y a cinquante ans, trouvait déjà dans la relation de ses personnages aux « Choses » la source de sa création romanesque. Plus près de nous, Philippe Delerm cherche dans les « plaisirs minuscules » de ce quotidien la clef de sa relation au monde.
Hans-Peter Feldman, en s’appropriant le contenu du sac à main d’une femme, se situe-t-il dans le registre de l’analyse sociologique ou dans une approche artistique et romanesque? Cette plongée dans l’intimité féminine ne va pas de soi. L’artiste s’autorise une intrusion dans un espace interdit, mystérieux et pour tout dire incompréhensible.
Contents of woman’s bag
Cette inventaire, pour ne pas dire cette autopsie, révèle l’enchevêtrement complexe des liens qui font de cet objet apparemment banal un point d’ancrage indispensable. Mouchoirs en papier, médicaments, ticket de théâtre, photos de famille, outils de maquillage, paire de lunettes, cartes bancaires…. Ce que nous montre Hans-Peter Feldmann ne se réduit pas à un constat objectif, il met en valeur l’histoire des personnages auxquels il s’attache, une histoire ordinaire et cependant unique. Avec peut-être cependant une constante : replacés dans l’abri quotidien du sac de la femme, les objets redeviennent incontrôlables, introuvables puis retrouvés, inutiles mais indispensables, oubliés mais précieux.
Cette mise à nu d’une vie personnelle passe par l’enquête minutieuse à laquelle se livre l’artiste. Les objets ne sont pas neutres, ils participent, à l’intérieur de ce bagage secret, généralement caché et réservé à sa seule propriétaire, à la préservation d’un espace intime, inaccessible. L’exposition toute entière participe de ce protocole majoritairement consacré aux objets féminins.
All the Clothes of a Woman
Avec « High heels », quarante cinq paires de chaussures de femme prennent part à cette inventaire. « All the clothes of a woman » réunit dans un seul tableau soixante dix photographies des vêtements d’une femme. Il ne s’agit pas là de l’accumulation voulue par l’obsession d’un collectionneur mais plutôt d’une tentative pour cerner, à partir de ce recensement matériel, une vie particulière. A la différence des objets du Nouveau Réalisme mis en valeur pour leur intérêt plastique lors d’accumulations, compressions, collages etc…, ceux de Hans-Peter Feldmann sont les médiateurs qui lui permettent de porter sur ses contemporains un regard bienveillant en empathie avec la vie de ceux qu’il côtoie au quotidien et dont il tente de comprendre les comportements.
Le voyage au centre du sac de la dame est un des protocoles révélateurs de la démarche d’un artiste plus poète que collectionneur, plus écrivain que sociologue.
Photos de l’auteur
Hans-Peter Feldmann
14 Octobre 2016- 21 Janvier 2017
Galerie des Galeries
Galeries Lafayette
40 Bd Hausmann
75009 Paris