Deux romans : Haruki Murakami nous gâte. Oui, mais il
s’agit de ses deux premiers textes de fiction. Ils n’avaient pas été traduits
en français et proposent donc une séance de rattrapage de ses débuts, avant de
devenir une star internationale de la littérature. Inquiet, peut-être, de
l’accueil qui pourrait être fait à ces ouvrages de jeunesse, il leur donne une
préface. Elle nous éclaire sur les circonstances de leur écriture et explique
certaines limites du débutant. Un débutant doué, et il n’est pas besoin de lire
dans une boule de cristal pour le prédire puisque son avenir est derrière nous.
Murakami explique une chose étonnante : en 1978, quand
il a écrit Ecoute le chant du vent,
il avait surtout lu des écrivains américains et russes mais ignorait tout de la
littérature japonaise contemporaine. Devant les difficultés qu’il rencontrait,
il est passé par la langue anglaise avant de s’adapter lui-même en japonais. « J’ai ainsi enfanté un texte
particulièrement dépouillé », constate-t-il. Trouvant aussi, par ce
biais, un style singulier.
On ne sait trop ce que la traduction française d'Hélène Morita en a
conservé. Mais nous suivons sans difficulté la vie du narrateur et celle de son
ami « le Rat ». Dans le premier roman bref, qui reçut le Prix Gunzo
en 1979, les deux jeunes hommes sont dans la même localité et se retrouvent
souvent dans un bar tenu par un Chinois. Dans le second, Flipper, 1973, où il n’est pas question d’un dauphin, ils sont éloignés
mais nous restons en leur compagnie. Les personnages semblent posés à côté du
monde réel, bien qu’ils l’habitent.
La principale caractéristique de ces deux ouvrages qui, en
somme, n’en font qu’un, est leur grâce. Grâce encore fragile, certes, mais qui s’impose
en particulier dans la seconde partie, au moment où le narrateur, en quête d’un
modèle de flipper bien particulier, sur lequel il jouait autrefois, le trouve
dans un hangar aux merveilles, bourré de machines rares, parmi lesquelles la
sienne. Le moment est magique et Murakami a l’intelligence – déjà – de préserver
la magie en évitant à son héros de faire les gestes attendus.
Grâce et magie : elles viennent probablement de
l’instant où l’envie d’écrire a surgi, au cours d’un match de baseball : « Le bruit de la batte frappant la
balle a résonné merveilleusement dans tout le stade. » Et voilà
comment on devient écrivain.