Dominique Quélen publie Éléments de langage aux éditions Publie.net.
PETITES FORMES
I
chaque pas réduit le précédent qui le contenait, jusqu’au dernier, fuite arrêtée le jour venu. On est parti, ayant sur soi le nécessaire. Consigné dans une chambre, un carnet. Et seul : un chemin trop juste pour y passer à deux de front. En un instant, tout est là, embrassé de l’œil ? L’ancien monde autour. Un bloc limpide. Les roches grises, les frondes des fougères – et dessous (le reste manque)
/
chasseur au pas mesuré, chasseur très subtil dans des lieux secs, tout en aplats. Perdu, longeant. Cherchant l’écart, le plus précis. Dans le repos le mieux réglé, une inquiétude. Un désir de blessure qui élancerait encore après des années. Poursuivant (en songe) un gibier différent. Pensées trop rapides, fuyantes : des guêpes. Jusqu’à ce que la chasse et son objet, comme le jour et la nuit, s’emboîtent
/
mûres, groseilles. Provisions du voyageur. Échappées à d’autres mains. Une trouée dans l’obscur rideau des buissons les éclaire en dedans. Clartés de théâtre. On s’approche et – stupeur : tranquille, assemblé en un parfait troupeau tremblotant (un monde à travers un feu), des cochons et des vaches. Élève, à nouveau, les doigts tachés d’encre. En suspens. Aucun souci ne demeure. Voilà ce qui arrive
/
le marcheur, le matin, l’un dans l’autre inclus, la pensée ramenée en arrière et repliée sur les flancs avec les bras, jusqu’à la plus parfaite égalité d’humeur. Chaque défaut noyé, nuancé, rendu indécelable à l’œil. Un genre d’œil, aussi bien, coupe dans le visage presque vide (cerises, iris, sombre velours luisant au fond d’une eau fraîche) : après ces deux fruits tout sera consommé, l’air restant traversé comme rien
/
le visage, par pans entiers. Tout y est curieux. La peau tissée de détails réalistes. La vue, thérapie de l’œil, qui disparaît un moment et revient. Les objets rassemblés en troupe docile : peu de couleurs, lumière prosaïque, équilibre des volumes. Rien n’échappe. L’effet est certain (un avant-bras, sur vingt centimètres et plus, qu’on aurait mal remis). La vie passée dans un corps
/
il n’aurait peut-être pas fallu. Cieux contre ciels, des traversées de ponts qui se succèdent. Sans trace dans l’autre sens (ou c’est un pas de neige). Ce paysage rare, fait d’ombres, de fabriques. Tout est alors court et contraint. La frayeur tient serrées les choses entre elles, petites cailles nichées. Il faut aller en maigre compagnie, tenu à l’écart, comme une entame. La nuque brûlante, puis fraîche
(…)
Dominique Quélen, Éléments de langage, Publie.net, 2016, pp. 17 à 22.
Fiche du livre sur le site des éditions Publie.net.
Éléments de langage rassemble trois livres parus, naguère, séparément. Mais, par ce geste neuf qui les réunit, est mis en évidence un moment clé dans l’écriture de Quélen — et la forte cohérence de sa démarche.
Les trois livres : Petites formes, Sports et Comme quoi.
bio-bibliographie, le temps est un grand maigre (note par R. Klapka), extrait 1, Comme quoi (parution), extrait 2, Système (par Bruno Fern), Loque (par F. Rannou), ext. 3, Finir ses restes (JP Dubost), ext. 4, Câble à âmes multiples (S. Macaigne), ext. 5, "des second & premier (1)" (par Ludovic Degroote), "Énoncés-types", par Vianney Lacombe, [revue Sur Zone] "Wazo", de Dominique Quélen, (musique et littérature) Entretien croisé avec Aurélien Dumont et Dominique Quélen, ext. 6, (note de lecture) Dominique Quélen, Basses contraintes, par Antoine Bertot