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Dans son dernier roman hyper structuré, Nancy Huston nous présente sa vision d'un monde post-humain, pas si éloigné du nôtre, dans une sorte de dystopie étouffante et nerveuse.Le roman débute avec l'arrestation violente de Varian, un jeune homme qui semble avoir commis plusieurs crimes. Qui est-il et d'où vient-il? Nous l'apprendrons au fil des chapitres et ce sera tout, sauf ordinaire.
Arrivé tardivement dans une famille aimante vivant à l'Île Grise, Varian devient un petit garçon surdoué mais très seul. Moqué par les enfants de son âge, à cause de ses retards physiques (de petite taille, maigre, il ne va muer qu'à l'âge de 16 ans), adoré par sa mère, qui lui enseigne l'amour des mots et de la langue allemande, il s'éloigne par contre de son père, refusant de partager avec lui une activité qu'il juge barbare (la pêche, qui est l'activité professionnelle du père). Il parvient à devenir infirmier, grâce à son intelligence supérieure, mais ne développe aucune aptitude sociale et entend de plus en plus des voix dans sa tête, sombrant doucement dans la psychose.
Parallèlement, son père n'ayant plus d'emploi à l'Île Grise, il décide de partir travailler sur le site de Terrebrute, en OverNorth, où l'on extraie de l'ambroisie (doux nom pour désigner le pétrole), puis il disparaît subitement.
Varian décide de partir à sa recherche et se fait embaucher comme infirmier au CMR (Centre de Maintenance Respiratoire) de Luniville, qui deviendra ensuite le Club des miracles relatifs, sous sa gouverne et celle de Luka, le médecin en chef du CMR.
Alors, ce résumé évoque quelque chose de connu? Il est facile en effet de superposer le Canada contemporain avec ce monde décrit par l'auteure originaire de l'Alberta. Cet OverNorth, n'est-ce pas l'Alberta des sables bitumineux, l'Île Grise, Terre-Neuve?
Il se trouve qu'en 2014, Nancy Huston a visité les sites d'extraction pétrolière de Fort McMurray, et elle en est revenue bouleversée.
Besoin d'en parler, d'agir. Comme auteure, cela est passé par l'écrit : d'abord sous forme d'un essai, Brut, la ruée vers l'or noir, paru en 2015 chez Lux Éditeur, auquel elle a participé tout comme l'activiste et auteure Naomi Klein. Puis, la version romancée, ce Club des miracles relatifs, qui n'a d'ailleurs pas encore trouvé d'éditeur au Canada anglais.
L'exercice de dénonciation - version roman - aurait pu tomber dans la morale ou le grotesque, simple succession de faits plaqués pour dénoncer une réalité. Roman périlleux donc, mais qui ne se casse pas la gueule pour autant, Le club des miracles relatifs ne laisse pas beaucoup de répit au lecteur, à l'image du sommaire exhaustif révélé au début de l'ouvrage. Les voix alternent pour faire progresser l'histoire de manière très charpentée. Celle de Varian, la plus singulière, y compris typologiquement, comme une sorte de halètement que l'auteure a retranscrit avec de grands espaces entre les mots et à la structure grammaticale parfois boiteuse, au langage coloré, nous laisse oppressé. Son récit des événements s'adresse à un procureur imaginaire. On visualise clairement le délire du personnage en pénétrant son esprit par ce procédé narratif.
Quand l'intrigue se déroule à l'Île Grise, le style est plus classique avec quelques belles trouvailles imagées (les soirées « bectances et bombances », organisées par les parents de Varian).
Puis, parsemées à travers l'histoire de Varian, Nancy Huston nous offre les portraits de plusieurs beaux personnages de femmes : Farah, Eris, Eileen, Marnie, parfois broyées par la société dans laquelle elles vivent, parfois par la pauvreté qu'elles subissent, ou la soumission à laquelle elles sont forcées (à leurs conjoints, à leurs parents). Femmes qui croiseront le chemin de Varian. Leur sort n'est pas toujours déterminé, mais nous savons que Varian n'est pas blanc comme neige, et qu'il éprouve une certaine haine pour les femmes (sauf sa mère et la sœur de Luka)...
Au sujet de Marnie, l'une de ces femmes, qui se prostitue chaque jeudi à Luniville (jour de paie dans les mines, jour de délire sexuel pour certains), Nancy Huston arrivera à établir une parallèle avec les femmes autochtones disparues et assassinées depuis tant d'années au Canada.
« Elle n'a d'autres choix que de cibler les tordus et de préciser qu'elle est autochtone [...] Les Peaux-Rouges doivent supplier d'âtre maltraitées. ces dernières années, un bon millier d'entre elles ont été rayées de la carte : assassinées ou "disparues". C'est toujours une question de peau. Ouep, les Blancs continuent de nous écorcher, de tanner notre peau et d'en faire une marchandise... » (p. 288).Nous assistons par ailleurs aux moments d'emprisonnement de Varian, aux persécutions insoutenables qu'il subit de la part des forces de l'ordre, qui pensent avoir affaire à un activiste écologiste manipulé par des forces terroristes du monde musulman.
Chacune de ces parties rappelle l'importance de la langue, toujours très travaillée par Nancy Huston et illustre la difficulté voire l'impossibilité de la communication.
Dans cette société guidée par l'argent, les humains deviennent des machines, carburent à l'alcool et à la drogue et rien ne peut les sortir de leur torpeur et de leur misère. Varian, avec l'aide de Luka et de sa sœur Leysa, trouvera pourtant un moyen de propulser un peu de magie et de culture dans ce monde sans couleurs et sans arts. En lisant des textes d'auteurs russes aux malades qui fréquentent leur centre (qui devient, à ce moment là, le Club des miracles relatifs), ils essaient d'illuminer leurs esprits de poésie.
Cette partie aurait méritée d'être plus détaillée dans le récit, car nous voyons peu l'impact que les trois "activistes" ont sur leurs patients.
Le titre du roman, par conséquent, est plutôt déroutant même s'il permet de garder une note résolument optimiste en ouvrant sur les possibilités que ce club pourrait offrir aux protagonistes.
Un miracle pourrait en effet survenir grâce au pouvoir de l'art qui sauve : à la fois comme réponse thérapeutique à la maladie mentale de Varian, mais aussi comme solution à la déshumanisation généralisée. Des vers de Vladimir Vyssotski marquent la fin du roman :
« De notre gorge jaillit le silenceÀ noter, le très belle illustration de la couverture, provenant du pinceau de Daniel Barkley.
Notre faiblesse grandit comme une ombre
Et l'éternité du jour polaire
Récompensera nos nuits de désespoir »
Silence blanc
Le club des miracles relatifs, Nancy Huston, 2016, Éditions Actes Sud, 304 pages.
Pour aller plus loin :
L'article de Josée Lapointe dans La Presse
L'entrevue très intéressante de Nancy Huston dans La grande librairie
Humeur musicale :
Tambour, Chapitre II (2016)