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Guyana, sixième roman d'Élise Turcotte, sera pour moi la porte d'entrée vers cette auteure que je n'avais pas encore découverte.Court roman lu d'une traite (175 pages), Guyana relate la quête d'Ana pour découvrir la vérité sur le prétendu suicide de Kimi, qu'elle appelle affectueusement « ma petite coiffeuse ». En réalité, Kimi coiffe surtout Philippe, le jeune fils d'Ana, encore bouleversé par la mort de son père un an plus tôt.
Cette quête poussera Ana à revivre certains événements traumatiques de sa vie intime, en même temps qu'elle explore l'histoire du pays de Kimi, le Guyana, situé entre le Venezuela et le Brésil. Là-bas, le 18 novembre 1978, un terrible massacre a eu lieu, le "suicide" collectif (certains ont été purement et simplement assassinés) des 913 adeptes de la secte de Jim Jones, le « temple du peuple ».
Mêlant l'intime et le collectif, Élise Turcotte, dans ce roman fortement ancré dans le réel, dans la ville mais aussi dans les émotions de ses personnages, ébranle le lecteur de drame en drame.
Au fil de l'enquête, on commence à comprendre ce qui pousse Ana - journaliste spécialisée en drames sordides, mais qui n'arrive plus à travailler depuis la mort de son mari - à s'investir autant dans cette histoire.
Dans une entrevue donnée à Chantal Guy pour le journal La Presse, le 16 septembre 2011, l'auteure parle du deuil : « C'est intéressant de penser que dans la vie, tout disparaît et qu'on survit à cela. Des deuils, on en fait tous les jours, de multiples façons, et je refuse de faire une hiérarchie dans le deuil. »
Dans Guyana, les personnages en vivent beaucoup, des deuils. En particulier Philippe, le petit garçon d'Ana, âgé de 9 ans, hypersensible et très attachant. Sa façon maniaque de se protéger : que règne la propreté autour de lui. Il développe également une grande clairvoyance (il semble surdoué), en particulier pour tout ce qui est en lien avec sa mère.
Ana, de son côté, devra briser les barrières de protection qu'elle avait dressées autour d'elle, suite à un drame vécu à l'âge de 17 ans et dont le spectre la hante depuis.
Toutes ces trames se rejoignent pour ne former plus qu'un fil, la "petite coiffeuse" - qui représentait un élément de répit et de douceur pour Ana et Philippe - nous livrant finalement toutes les clés.
Ce roman trouve un équilibre entre des thématiques très dures et sombres (viol, meurtre, maladie, deuil, délinquance) et un style lumineux et poétique, également porteur d'espoir pour ses personnages. Chacune des six parties distinctes porte la voix de l'un des trois personnages principaux : Ana, Philippe et Kimi, nous donnant une perspective étoffée sur les drames qui se jouent dans le roman.
Ana et Philippe sont des survivants, chacun à leur manière, comme dans la plupart des romans d'Élise Turcotte (La Presse, 2011).
Guyana, Élise Turcotte, Éditions Leméac, 2011, 175 pages.
Pour aller plus loin :
L'entrevue donnée à La Presse
À propos du massacre de Jonestown (attention, âmes sensibles s'abstenir)
Humeur musicale :
Reliefs, La traversée (2015)